CONFERENCE
SUR
l'Extériorisation de la Pensée
DONNEE PAR
Gabriel DELANNE
aux Membres du Congrès Spirite de Liège
LE DIMANCHE 11 JUIN 1905

MESDAMES, MESSIEURS,

Mes premières paroles seront un remerciement pour les membres du Congrès qui m'ont fait l'honneur de me demander de venir ce soir exposer devant vous, une question qui touche à peu près à tous les problèmes du Spiritisme. Cette question, c'est l'extériorisation de la pensée.

S'il fallait développer devant vous tous les phénomènes qui touchent à cet ordre de recherches, je crois que le temps nous ferait défaut, pour traiter la question d'une manière tout à fait complète.

Les phénomènes du Spiritisme sont vrais, et ils le sont parce qu'on les a affirmés un nombre considérable de fois, on les a étudiés avec les méthodes les plus rigoureuses. Si ces phénomènes sont exacts, ils sont dus incontestablement à l'action des êtres qui sont dans l'espace, à l'action des vivants qui ont cessé d'appartenir à notre planète pour vivre dans une autre ambiance, dans l'espace. Eh bien ! si ces esprits agissent sur nous, ils le font au moyen de leurs pensées, et suivant les dispositions des personnes spécialement qualifiées pour recevoir ces pensées qu'on appelle des médiums. La pensée de l'esprit peut se traduire soit par des mouvements d'un objet quelconque - plus généralement une table - soit par l'écriture, soit par la vision, soit par l'audition, soit enfin par la pénétration de la pensée, de l'esprit, s'emparant des organes du médium (c'est ce qu'on appelle la médiumnité à incorporation).

Le champ de ces études est immense ; mais on peut s'y préparer en étudiant des phénomènes analogues qui peuvent se produire pendant la vie, en chacun de nous.

La pensée peut s'extérioriser, la pensée peut sortir de l'être humain pour aller agir à distance sur un autre être humain de manière que le second individu a une conscience nette et précise de la pensée du premier. Il a donc fallu que cette pensée sorte du cerveau de l'agent - c'est ainsi qu'on appelle celui qui opère - pour pénétrer dans l'esprit du sujet. C'est là la transmission de pensée.

Mais il y a une seconde forme de l'extériorisation de la pensée : quand un individu dans des circonstances spéciales - soit pendant le sommeil naturel, soit pendant la transe - s'extériorise de manière à prendre connaissance des événements qui se passent au loin. On appelle ce phénomène la clairvoyance.

Eh bien ! dans ce fait, c'est bien réellement la pensée de l'individu, sa pensée immatérielle qui sort de lui-même ; pendant qu'il est enfermé dans sa chambre, qu'il ne fait pas jour, que les murs limitent la portée de sa vue, il prend connaissance des événements qui se passent au-dehors et il peut les décrire parfaitement. La clairvoyance est donc une des formes d'extériorisation de la pensée.

Il y a une troisième forme à laquelle les savants anglais qui se sont beaucoup occupés de cette question, les membres de la «Société de recherches psychiques» ont donné le nom de télépathie.

La télépathie c'est la communication entre deux intelligences séparées par la distance - communication qui ne s'effectue par aucun des sens dont nous avons l'habitude de nous servir pour transmettre notre pensée.

Par exemple, je suis ici à Liège, j'éprouve un accident subit et ma pensée se reporte vers un être qui m'est cher. Il peut arriver que cet être me voit tel que je suis en ce moment, ou entende ma voix, ou ressente une certaine sensation qui l'avertira qu'il m'est arrivé un accident.

Les savants de la société anglaise, pendant une vingtaine d'années, se sont occupés spécialement de réunir des cas dans lesquels cette transmission de la pensée sous ses différentes formes, a été établie avec une rigueur, avec une méthode, qui ont donné à ces phénomènes une certitude complète. C'est à ce point qu'aujourd'hui même vous pouvez aller dans les académies, dans les réunions publiques, dans les milieux les plus cultivés, parler des lois de la télépathie sans être contredit.

Depuis 25 ans, la «Société des recherches psychiques» a réuni plus de 2.000 cas qui ont été vérifiés de point en point avec la rigueur et la minutie que les savants ont habitué le public à voir dans chacune de leurs expériences. Non seulement on a réuni des récits mais encore on a demandé à celui qui le faisait, si au moment précis où l'événement se produit, il en a pris note, s'il en a parlé soit à ses parents, soit à ses amis, s'il est resté un témoignage effectif montrant que véritablement à une époque déterminée, il avait eu soit une vision, soit une audition. Quand il dit, par exemple : «J'en ai pris note dans mon journal...» On lui demande à voir ce journal, on vérifie si le récit n'avait pas été intercalé plus tard, s'il faisait bien partie du texte du journal ; ensuite et indépendamment du récit fait par le clairvoyant, on demande encore au témoin de faire un récit exact de ce qu'on leur a raconté et on compare toutes ces versions. C'était là la première partie.

Ensuite si par exemple c'était un père auquel il était arrivé un accident et que ce fut son fils qui eut eu la vision, après avoir vérifié le récit du fils on avait interrogé le père. On lui dit : «Vous avez été soigné par un médecin, en est-il resté quelque chose, un témoignage effectif.» Les savants se donnaient la peine de remonter jusqu'aux sources, de vérifier chacun de ces témoignages, de les comparer les uns aux autres ; c'est quand des deux côtés la vérification avait été faite, qu'on publiait alors le fait en lui donnant toutes les preuves qu'on possédait de son authenticité.

Dans les livres publiés par la «Société anglaise de recherches psychiques» plus de 2.000 cas authentiques ont été relatés. C'est cette façon de procéder qu'il faudrait que nous, spirites, nous mettions en pratique. Alors que nous racontons un phénomène auquel nous avons assisté, ceux qui nous connaissent peuvent jusqu'à un certain point ajouter foi à notre récit ; mais quand nous voulons présenter au public - c'est-à-dire aux personnes qui ne nous connaissent pas - le récit de ces témoignages, ils nous disent : «Votre souvenir n'est pas bien fidèle.»

Si vous apportez en même temps que votre récit celui des personnes qui ont assisté en même temps que vous, si chacun a fait du même phénomène un compte-rendu, nous pourrions voir si l'imagination n'a pas joué un certain rôle, si involontairement ou inconsciemment vous n'avez pas apporté des modifications à l'exposé du récit ou à l'expérience à laquelle vous avez assisté.

Eh bien ! je vous le demande, vous tous qui avez assisté à des réunions, qui êtes à même de constater des phénomènes dans l'intérêt supérieur de notre doctrine, dans l'intérêt supérieur de la propagande, chaque fois que vous ferez un récit, entourez-le, je vous en prie, de toutes les circonstances dans lesquelles il s'est produit ; si vous le faites vous donnerez au Spiritisme un élan considérable, parce que nous nous appuierons sur des faits contrôlés, certains, sur des faits qui feront dans le monde entier la même révolution que la «Société des recherches psychiques» a produite dans le milieu intellectuel, grâce aux procédés qu'elle a suivis.

Revenant à l'objet principal de cette conférence, je voudrais traiter un aspect tout à fait particulier de la question ce qu'on a appelé la matérialisation de la pensée.

Oh ! je sais bien que ces mots «matérialisation de la pensée» feraient frémir, ou tout au moins auraient fait frémir, il y a encore bien peu de temps, les personnes habituées à l'esprit scientifique, à ses méthodes de recherches. On nous aurait dit : «Vous parlez de matérialiser la pensée, mais ignorez-vous donc que la pensée est purement et simplement une vibration cérébrale. Comment voulez-vous matérialiser une vibration ; vous n'avez peut-être pas exactement conscience des termes dont vous vous servez.»

Tandis que les philosophes de l'autre bord auraient dit : «La pensée, c'est l'âme elle-même ; l'âme est immatérielle, elle n'a pas de couleur, elle n'a pas de poids, pas de dimensions. C'est justement parce qu'entre l'âme et le corps, il n'y a aucune comparaison à établir que vous ne pouvez pas matérialiser la pensée.»

Eh bien ! je tiens tout d'abord à bien définir la question. Evidemment, la pensée en soi est un phénomène immatériel, un phénomène qui n'a pas d'analogue dans le monde physique. Mais pendant la vie, l'âme est associée à son enveloppe physique, à son corps et chaque fois que la pensée s'exprime, il y a une vibration cérébrale qui correspond à cette pensée. C'est ce côté physiologique, cet aspect matériel de la vie de l'esprit que nous allons étudier aujourd'hui. Remarquez que la question a une grande importance parce qu'à tout instant vous lirez dans les revues spirites, vous entendrez des récits qui sont faits par des médiums voyants et dans lesquels, par exemple, le médium dira à une personne qui vient le consulter : «Je vois à côté de vous une dame qui a les cheveux blancs, qui a une cravate de telle couleur, qui a un corsage rouge, une robe avec de petites dentelles.» Les incrédules alors disent : «Quoi ! vous parlez d'un fantôme qui est habillé, vous parlez d'un fantôme qui a un chapeau. Est-ce que vous rêvez ? Est-ce que ces phénomènes sont possibles en dehors de l'hallucination ? Si l'âme existe, je conçois que dans l'espace elle survive d'une manière quelconque que je ne puis pas approfondir, mais ne me faites pas croire que cette âme a emporté avec elle un vêtement fluidique, qu'elle a un fantôme de chapeau, un fantôme de robe ?» Si d'autre part, on fait la description d'un laboureur et de ses boeufs, les mêmes incrédules nous diront : «Je ne puis pas croire que les boeufs existent positivement dans l'espace à l'état fluidique.»

Eh bien ! Mesdames, Messieurs, c'est cette question que je voudrais traiter devant vous, et pour celle-là, comme pour bien d'autres, il faut en revenir au maître, à Allan Kardec. Que dit-il ? Il nous dit que la pensée est créatrice, que quand nous prions, que quand nous pensons, nous réalisons immédiatement dans l'espace une image qui est la traduction, la reproduction photographique de l'image que nous avons dans l'esprit ; Kardec va plus loin, il dit encore : si, par exemple, un esprit se trouve dans l'espace, s'il se manifeste à un médium, pour se faire reconnaître il reprendra momentanément, non seulement la forme qu'il avait sur la terre, à une époque déterminée de son passé, mais aussi les attributs physiques, les vêtements qu'il avait à cette époque.

Il s'agit de démontrer que cet enseignement de Kardec est vrai ; il s'agit de prouver par les recherches des savants contemporains que nous trouvons des explications claires, logiques qui viennent appuyer d'une façon absolue, certaine, l'enseignement donné par les esprits, il y a un demi-siècle ; il s'agit de montrer que ce qui était contenu dans les livres du maître est vérifié aujourd'hui d'une manière absolument authentique et précise par les savants qui ne sont pas spirites. C'est donc en puisant dans leurs oeuvres que nous allons accumuler les preuves qui démontreront d'une façon absolument nette que Kardec ne nous a pas trompé.

Pour établir la vérité de ce que je viens de vous dire, il faut démontrer trois choses : 1° que toute pensée est une image, 2° que cette image peut sortir du cerveau, peut exister dans l'espace, 3° qu'une fois que cette pensée est dans l'espace, elle peut se matérialiser et devenir accessible aux sens - qu'on peut la voir, la toucher, la photographier.

Prenons le premier point. Je vous ai dit que toute pensée était une image. Cette affirmation n'a pas besoin d'être démontrée ; elle est admise d'une façon unanime par tous les psychologues contemporains. «J'ouvre les yeux, immédiatement le monde extérieur est dans mon oeil, arrive dans mon cerveau, et pendant que j'ai les yeux ouverts, j'ai la connaissance des objets. Je ferme les yeux et par un effort de ma volonté, je peux retrouver ces sensations, j'ai le souvenir de ce que je viens de voir. Vous savez tous comme moi que dans la réalité, quand nous avons été dans une ville, quand nous avons rencontré des paysages, il suffit - si notre mémoire est suffisamment fidèle - de vouloir que l'image renaisse et elle renaît affaiblie, très vague.

De même, pour un air de musique que vous avez entendu, de même, pour une odeur que vous avez sentie, en un mot les sensations laissent en nous des traces ; celles-ci reproduisent une image de la réalité et suivant les facultés que nous possédons, suivant le type auquel nous appartenons, nous avons non pas une mémoire, mais une collection de mémoires. (Vous savez que les psychologues ont rangé les différents types de l'humanité en plusieurs classes ; ils désignent sous le nom de visuels ceux qui pensent habituellement par l'image, sous le nom d'auditifs ceux qui entendent en eux-mêmes les raisonnements, sous le nom de moteurs ceux qui sentent vivement les impulsions intérieures.) Suivant le type auquel nous appartenons, nous avons des procédés différents pour réveiller en nous l'image des sensations qui ont été enregistrées et chaque fois qu'elles renaissent, c'est la même image, un peu affaiblie seulement, mais qui peut prendre chez certains individus un caractère aussi net que la perception elle-même. Si vous lisez les travaux publiés sur ce sujet, vous verrez que certains individus qui appartiennent au type visuel, par exemple, ont cette singulière propriété de réveiller leurs souvenirs avec une telle intensité qu'ils croient avoir devant les yeux l'objet qui a frappé pour la première fois leur vue.

Ainsi un peintre n'avait besoin que de voir une seule fois un individu pour pouvoir faire son portrait d'une manière aussi fidèle que si l'individu avait posé devant lui. Quand on lui demande : Comment faites-vous ? Il répond : «Je prends l'individu, je l'assieds sur cette chaise ; il me semble qu'il est là positivement et je n'ai qu'à copier l'image que j'ai devant les yeux.» Vous voyez à quel point cette image peut devenir réelle, positive.

Dans les autres sensations, il en est de même. Mozart ayant entendu une seule fois au Vatican un Requiem l'a noté depuis le commencement jusqu'à la fin. Beethoven composait dans sa tête des sonates tout entières ; il n'avait pas besoin de les exécuter matériellement ; elles étaient dans son esprit avec toute leur finesse, tout leur brillant coloris.

Vous voyez donc que suivant les individus, la richesse de l'imagination, l'image se présente avec une netteté plus ou moins saisissante.

Vous me direz : «Ce sont des exceptions. Vous me citez là les cas d'un grand peintre et de grands musiciens, mais est-ce que tout le monde possède véritablement des images semblables ?»

Dans les rêves, alors que les yeux sont fermés, alors que les oreilles sont assoupies, que la sensation du monde extérieur va petit à petit en s'affaiblissant jusqu'à disparaître, on voit se dessiner des figures ayant toute l'intensité de la vie réelle. Il est évident que ceci est arrivé à chacun de nous : le rêve, lorsque le monde extérieur n'agit plus sur nous, que ses sensations n'ont plus une intensité capable de contrebalancer les images qui sont dans notre esprit, nous montre que l'image est conservée avec son coloris et la même puissance que pendant la vie.

Passons à un autre ordre de phénomène : Vous vous rappelez qu'il n'y a pas de plaisanterie qu'on n'ait faite, il y a 25 ans, contre le magnétisme. On traitait les magnétiseurs de charlatans ; or, qu'a-t-il fallu pour amener un changement radical ; qu'a-t-il fallu pour que l'hypnotisme soit enseigné dans les Facultés ? Il a suffi purement et simplement que la science officielle mit son cachet sur chacun de ces phénomènes qu'on débaptisa et qu'on appela «hypnotisme» au lieu de «magnétisme».

Beaucoup de ces savants étaient incrédules et entre autres Pierre Janet qui raconte qu'il n'avait qu'une confiance modeste dans ce qu'on appelle les phénomènes de la suggestion, qu'une confiance très faible dans les affirmations de ses confrères et des magnétiseurs. Une des premières fois qu'il fit ces expériences, il eut l'idée d'imaginer qu'un tigre était dans la salle et allait se précipiter sur le sujet. Mal lui en prit car ce sujet pour lequel l'idée s'était réalisée poussa des cris épouvantables, eut des attaques de nerfs terribles et on eut toutes les peines du monde pour calmer le sujet et «depuis ce temps, dit Pierre Janet, je ne présente plus à mes sujets que des oiseaux et des perles». C'est donc que la pensée suggérée se réalise et avec une puissance qui équivaut à celle de la réalité, qui est même plus forte que l'impression produite par les yeux.

Janet a fait d'autres remarques encore : «J'ai un sujet auquel je dis : il y a ici un éléphant ; alors ce sujet voit cet énorme pachyderme avec ses défenses et sa trompe. Il veut même lui donner de la nourriture, mais le côté curieux, c'est qu'il se range contre le mur. On lui dit : «Pourquoi vous placez-vous là ?» il répond que c'est parce qu'il n'y a pas de place. L'éléphant, imaginaire pour l'opérateur, est tellement réel pour le sujet qu'il ne voit plus le mur qui est en face ; l'image de l'éléphant voile l'image du mur. Vous voyez combien cette image est dans le cerveau une réalité pour que l'image du mur qui arrive à l'oeil soit neutralisée par cet éléphant qui n'existe que dans son esprit. Vous voyez que l'image hallucinante a une dimension, une couleur ; en un mot, cette image est perçue d'une manière précise, nette. (Il est vrai que ce sont des hystériques, des sujets malades, qui ont une sensibilité qui sort de la normale, mais enfin sur lesquels on peut étudier les phénomènes avec un grossissement considérable. Ce sont les sujets qui mettent en relief les particularités qui existent chez chacun de nous et qui les mettent dans un relief tellement saisissant que cela nous permet de définir avec exactitude le caractère de ces images.)

Vous me direz : «Est-ce que ceci a quelque chose de réel ; c'est un phénomène imaginaire, il n'y a pas plus d'éléphant là qu'il n'y en a ici.»

Ne prenons pas une image aussi grosse ; prenons un papillon. Eh bien ! Deux savants français qui ont étudié ces phénomènes avec une grande minutie, avec un remarquable esprit scientifique se sont dit : «Est-ce que ces images existent dans l'esprit ?» Si elles existent on doit pouvoir répéter sur ces images les mêmes expériences qu'on répétera avec un objet réel. Ainsi, par exemple, si je suggère à mon sujet qu'il existe un papillon, que va-t-il se produire, si je mets entre les mains du sujet une jumelle de campagne ? Vous savez que si on regarde avec la jumelle du côté du petit bout, l'image se rapproche ; si vous regardez, en sens inverse, elle s'éloigne. Par conséquent, il suffit de voir la position de la jumelle pour se dire que l'image est éloignée ou rapprochée. Mais on a soin de mettre la jumelle dans une boîte, qui ne permet pas au sujet de se rendre compte du bout par lequel il regarde. On dit au sujet : «Regardez.» Il y a un petit signe extérieur qui est connu de l'opérateur seul et qui lui indique que le sujet regarde par le petit bout ou en sens inverse. Lorsque le sujet regarde il voit l'image se rapprocher, si c'est par le petit bout ; s'éloigner, si c'est par le gros bout ; on dit : «Mettez-vous devant une glace.» L'image est réfléchie et exactement comme elle le serait si un objet réel occupait la place de l'image suggérée. On demande alors au sujet : «Où voyez-vous l'image ?» «Ici» répond-il. On fait la construction géométrique et l'image réfléchie se trouve à la place voulue.

Prenons un prisme. Le sujet ignore les lois du prisme ; il ne sait pas que celui-ci dédouble les objets et que la seconde image doit être à côté ou au-dessus de la première. Eh bien ! on fait regarder dans un prisme ; on fait tourner le prisme. L'image qui est dans le cerveau suit exactement les lois de l'optique. Elle est dédoublée comme si elle était réelle.

Voilà des phénomènes précis qui n'ont pas été faits par des spirites mais par des savants tout à fait indépendants et qui constatent qu'ils se produisent bien de cette manière.

Il y a mieux que cela. Pariau a fait une expérience aussi démonstrative, aussi curieuse que celle-là. Vous savez qu'un phénomène très naturel est le suivant : si vous contemplez un carton très rouge et si après vous portez vos regards sur une partie blanche, vous voyez immédiatement une image également ronde et colorée en vert, c'est-à-dire la couleur complémentaire du rouge.

Eh bien ! si vous suggérez à un sujet la couleur rouge d'une image qui n'existe pas, si vous lui faites fixer ensuite une carte blanche, il va voir une ombre verte. Donc l'image qui était dans son cerveau a exactement les mêmes propriétés que l'image réelle, et produit en outre les mêmes sensations. Donc, cette image est aussi réelle qu'une sensation. Elle occupe la même place que la sensation dans le cerveau ; elle a des effets consécutifs exactement semblables aux effets produits par les sensations réelles.

Nous arrivons à la démonstration absolument parfaite que cette image existe, et non seulement qu'elle existe, mais, comme vous allez le voir par une remarque qui est faite par les savants, qu'elle voyage dans l'espace tout en ne quittant pas le cerveau. C'est un phénomène d'observation bien connu des physiologistes que notre oeil s'accommode à la distance des objets rapprochés ou éloignés et qu'il y a en même temps des variations de la pupille.

Suggérez par exemple le papillon à un sujet, le papillon dont nous parlions tout à l'heure. Pendant que vous lui faites la suggestion vous dites : «Oh ! quel joli papillon ?» Prenons la dimension de sa pupille. Alors l'hypnotiseur lui dit «Le voilà parti !» Eh bien ! à mesure que l'oeil du sujet se dirige vers le papillon, la pupille s'ouvre. Voilà une image qui n'est qu'imaginaire et qui produit physiologiquement les mêmes résultats qu'une sensation réelle. Comprenez-vous toute la puissance démonstrative que chacun de ces phénomènes possède ? L'image mentale a une réalité, elle a un volume, elle a une couleur et quand elle agit sur le cerveau, elle agit exactement comme pourrait le faire une image réelle causée par la sensation.

Donc l'image mentale est bien une réalité, donc elle a une existence objective.

Un phénomène plus curieux encore, c'est la conservation indélébile, à tout jamais de cette image enregistrée une seule fois dans un cerveau humain.

Si le temps ne nous manquait pas, je pourrais vous démontrer, par des expériences qui ont été faites par les physiologistes que même dans l'âme, la vision la plus fugitive, se grave en nous avec une netteté parfaite, même quand nous n'avons pas les souvenirs conscients de tous les détails de cette image, il existe en nous une impression photographique qui perdure d'une manière pour ainsi dire définitive, c'est-à-dire jusqu'à la mort de l'individu.

Comment pouvez-vous démontrer, me direz-vous, qu'une image qui s'est enregistrée quand j'avais l'âge de cinq ans - et j'ai aujourd'hui 40 ans - qu'elle s'est ainsi incorporée à mon organisme, et qu'à un moment donné, je puis la faire revivre.

Eh bien ! Mesdames, Messieurs, remarquez que je ne fais pas appel aux spirites en ce moment ; c'est presque un cours de physiologie que je fais. C'est aux savants eux-mêmes que nous empruntons nos arguments. Piot qui est le doyen de la Faculté de médecine de Bordeaux a publié un livre intitulé : Le Somnambulisme et l'Hystérie. Parmi les phénomènes nombreux qu'il décrit, il en cite un qu'il appelle le phénomène de l'Icnesie. Son sujet ne lui répondait pas ; il ne parlait que le patois et elle racontait - car c'était une jeune fille - qu'elle gardait les vaches, qu'elle rencontrait un tel individu, qu'elle avait eu une conversation avec un tel autre, et quand Piot essayait d'entrer en rapport avec elle, la jeune femme ne lui répondait pas, car elle ne connaissait plus la langue qu'on lui parlait.

Eh bien voici ce qui se produisait (car il a fini par différents procédés par entrer en rapport avec elle). L'âme du sujet se reportait à l'âge de cinq ans, oubliait tous les événements qui s'étaient produits depuis lors jusqu'aujourd'hui, c'est-à-dire jusqu'à 17 ans. Elle perdait le souvenir de tous ces événements, mais en revanche, tous les événements antérieurs dont elle avait eu connaissance se dessinaient pour elle avec une netteté merveilleuse. Elle racontait sa vie ; en français, elle ne vous comprenait pas ; il fallait employer le patois pour que le sujet réponde ; tous les souvenirs de cet âge étaient conservés avec une netteté absolument parfaite.

Cette jeune fille n'est pas le seul sujet qui ait été étudié ; le phénomène s'est produit un très grand nombre de fois ; il a été étudié non seulement partout mais encore par d'autres savants ; Bureau avait un sujet qui s'appelait Jeanne et qui présentait le même phénomène. On lui dit : «Vous avez 15 ans». Elle dit : «Je suis chez Madame Z... ; je dois aller à telle assemblée ; je connais un tel monsieur, etc.» On lui dit encore : «Eh bien ! écrivez quelque chose. Connaissez-vous Le petit Savoyard ?» On lui fait écrire quelques vers de cette poésie.

On la reporte ensuite à l'âge de 5 ans. On constate qu'elle sait à peine lire, qu'elle écrit l'écriture qu'elle avait à cet âge avec les fautes d'orthographe qu'elle faisait alors. Elle reproduit parfaitement tous les souvenirs de cet âge. Remarquez que ces savants ne se sont pas contentés du simple récit fait par leurs sujets. Ils ont fait des enquêtes et ont contrôlé la véracité absolue du réveil des souvenirs chez chacun de ces sujets. Vous voyez que dans la réalité, tout ce que nous avons vu, entendu et appris se grave en nous d'une manière absolument indélébile. Il se présente, nécessairement, c'est même une des conditions de la mémoire, que nous oublions momentanément, temporairement, pour pouvoir apprendre des choses nouvelles. Nous avons appris tous l'histoire, la géographie, les mathématiques, la physique, etc., si le souvenir de toutes ces choses étudiées était encore dans l'esprit, la conservation de la pensée ne serait pas possible. Il faut donc que normalement nous apprenions à oublier, pour apprendre encore. Mais l'oubli n'est pas parfait. Alors même que notre mémoire nous fait défaut, que consciemment et volontairement nous ne pourrions réveiller en nous toutes les idées qui s'y sont accumulées, il y a cependant un trésor immense dans l'âme humaine. Depuis notre naissance, toutes les impressions qui ont agi sur nous, impressions visuelles, auditives, tactiles, tout ce que nous avons su, entendu et appris, reste à jamais gravé en nous. Les expériences des savants nous prouvent avec l'évidence même que rien ne se perd. D'ailleurs c'est un fait qui est reconnu aujourd'hui des psychologues. Voyez Ribot, chef du positivisme en France et qui a écrit un ouvrage traitant les maladies de la mémoire. Vous trouverez là des récits qui vous démontreront nettement, incontestablement ce réveil de toutes les images emmagasinées dans notre mémoire, se reproduisant automatiquement quand il arrive un accident.

Je suppose qu'un individu tombe à l'eau. On le retire avant que la submersion soit complète et il raconte que pendant le court instant qui s'est écoulé entre le moment où il pénètre dans l'eau et le moment où il a perdu connaissance, il a vu se découvrir devant lui tout le panorama de sa vie.

Vous trouverez de nombreux exemples de ce phénomène. Un individu tombe du haut d'un toit ; il n'est pas tué. Entre le moment de la chute et celui où il arrive sur le sol, se déroule devant lui le spectacle de toute sa vie et même accompagné du sentiment du bien et du mal.

Un autre individu tombe par inadvertance sur la voie du chemin de fer. Il n'a que le temps de se ranger entre les rails, mais pendant que le convoi passe sur lui, exactement le même phénomène (la rénovation de la mémoire) se produit. Il revoit toute sa vie ; il a conscience en même temps des actions bonnes ou mauvaises où plus exactement du sentiment moral qui s'est attaché à chacun de ses actes.

Voyez-vous l'immense importance de ces phénomènes ? Si réellement tout ce que dit le spiritisme est vrai, si positivement il y a en nous la conservation intégrale de tout ce que nous avons vu, entendu, éprouvé, de tout ce que nous avons vécu en un mot, si ce n'est pas la première fois que nous vivons ici-bas, n'y a-t-il pas là un merveilleux moyen de réveiller dans l'âme humaine, un souvenir des vies antérieures ?

Remarquez bien que ce phénomène qui a été étudié pour la première fois par les spirites reçoit des travaux des savants une confirmation indirecte. Les expériences faites les premières, l'ont été par des spirites et communiquées au Congrès spirite dernier, qui a eu lieu à Paris en 1900. Rochas, ancien directeur de l'Ecole polytechnique, dont la valeur n'est mise en discussion par personne, a aussi étudié les phénomènes de régression de la mémoire. Il a donné le nom de régression de la mémoire à ce fait que nous pouvons remonter même au-delà de l'existence actuelle pour réveiller les souvenirs qui se sont accumulés d'une manière permanente, non pas seulement dans le corps, dans ce corps qui change perpétuellement, non pas dans la gaine matérielle que nous prenons à chaque incarnation, mais dans la partie impérissable de nous-mêmes, dans le corps fluidique auquel les spirites ont donné le nom de périsprit. C'est en lui que les souvenirs sont emmagasinés.

Ces expériences sont très délicates. Je vous demande si vous avez l'intention de poursuivre des études dans cette voie, de vous mettre en garde sérieusement contre l'auto-suggestion. Il ne faut pas accepter comme parole d'évangile tous les récits des sujets, car nous savons que le somnambule est capable de forger des romans. Quand nous faisons ces études, nous devons exiger des sujets, des noms, des dates - des preuves en un mot - qui affirment d'une manière tout à fait positive qu'il y a eu une régression de la mémoire. Mais si nous procédons avec méthode, avec patience, avec sagacité, nous découvrirons alors cet océan profond qui constitue la personnalité de l'être. De même que la science a reconstitué l'histoire en fouillant les entrailles du sol, nous ressuscitons les histoires des âmes, en allant jusque dans ses profondeurs. (Applaudissements.)

L'image mentale est donc une réalité ; je viens de vous le démontrer.

Je dois maintenant établir par des faits aussi certains, aussi précis, aussi nets que les autres que cette pensée peut s'extérioriser, c'est-à-dire sortir du cerveau.

Une des meilleures démonstrations ce sont les expériences faites par les savants anglais dont je parlais tout à l'heure à propos de la transmission de la pensée. Je voudrais vous en dire deux mots. Le sujet est très vaste ; il faut cependant que vous en ayez un aperçu rudimentaire, mais qui vous donne nettement la sensation que ces faits ont été étudiés avec un soin, une prudence, une minutie qui nous affirme qu'ils sont bien authentiques.

Ouvrez le vaste arsenal des livres sur le magnétisme et vous verrez que, depuis le Marquis de Ségur jusqu'à Du Potet en passant par Lafontaine, partout est affirmé le phénomène de la transmission de la pensée, c'est-à-dire qu'une pensée née dans le cerveau du magnétiseur peut parvenir dans le cerveau du sujet, sans employer ni la parole, ni l'écriture, ni aucun des moyens qui nous servent communément à transmettre notre pensée à nos semblables.

J'ai tantôt déjà effleuré le sujet, mais je crois qu'il est indispensable d'y revenir encore un peu.

Il y a maintenant 23 ans, c'était en 1882, sous l'impulsion du Spiritisme, d'hommes éminents comme Myers, Podmore et Barette, membre aujourd'hui de la Société royale et professeur à Cambridge, il s'est formé une association qui avait pour but d'étudier tous ces phénomènes qui sortaient de l'ordinaire.

Quand on a demandé à Sidwidge la première fois : «Dans quel but faites-vous cette réunion ?» Il dit : «Si nous avons formé une société, c'est parce que c'est une honte pour notre époque, de voir encore tant d'hommes intelligents, nier les phénomènes du magnétisme, la clairvoyance ; c'est une honte que le monde officiel ait fermé les yeux devant ces phénomènes. Il faut qu'on les étudie, il faut que nous sachions à quoi nous en tenir ; il faut que nous ayons une solution précise ; il faut que nous sachions si réellement et positivement ces phénomènes existent ou s'ils sont le produit de la supercherie. Voilà pourquoi nous avons fondé la société.»

Et bien ? jamais programme n'a été mieux rempli. C'est avec l'indomptable ténacité anglo-saxonne qu'ils ont étudié les faits. C'est pendant des années entières qu'ils ont cherché des sujets les plus différents, qu'ils ont opéré dans des conditions variables. Ce n'est qu'après avoir pendant des centaines de séances, vérifié les phénomènes, qu'ils ont enfin affirmé la transmission expérimentale de la pensée.

Vous voyez qu'ils n'opéraient pas à la légère. L'opérateur était dans une chambre ; le sujet était d'abord dans la même chambre, mais entre l'opérateur et le sujet se dressait un écran. De plus, le sujet avait les yeux bandés ; le magnétiseur ne faisait pas de mouvement ; on craignait même que les vibrations de l'air ne servent d'indication au sujet, pour exécuter des mouvements. Pour qu'il n'y ait pas de concert préalable, les expérimentateurs eux-mêmes avaient soin d'écrire sur des séries de petits papiers, les ordres qui devaient être exécutés. Ces papiers étaient pliés d'une façon égale, mis dans le même chapeau ; ils étaient agités et on tirait au hasard une de ces questions. Alors, en faisant le moins de mouvement possible, on ouvrait très légèrement le papier ; on le glissait sous les yeux de l'opérateur qui ne doit pas prononcer une parole, mais concentrer sa pensée sur l'action qui devait être accomplie. Pendant un certain temps, qui dépendait du rapport établi entre le sujet et l'opérateur, on voyait le mouvement s'exécuter.

Remarquez bien que les savants ont étudié la pensée sous ses trois formes (sensation, intelligence, volonté). Prenons par exemple la sensation. Supposons que l'ordre donné soit le suivant : «Pincez la jambe gauche à la hauteur du mollet». Le magnétiseur se pinçait la jambe à la place indiquée et le sujet ressentait la même sensation.

Si vous tiriez les cheveux du magnétiseur, le sujet se plaignait aussi qu'on lui tirait les cheveux.

Ces expériences ont été faites un très grand nombre de fois. Il y avait un accord si parfait entre le magnétiseur et son sujet, une sympathie si grande que toutes les actions exercées sur la sensibilité du magnétiseur étaient ressenties par le sujet, d'une manière identique.

Nous nous trouvons presque en face d'un phénomène qui est commun, connu dans la science. Vous avez dans une salle deux pianos absolument identiques. Frappez le «la» sur un des pianos ; au bout d'un certain temps vous entendrez la même corde du second piano qui se met à vibrer : c'est un phénomène de sympathie.

Prenons deux diapasons. Si vous frappez sur le premier, vous obtiendrez sur le second la même note. C'est l'air qui a mis le second diapason en vibration. La transmission des sensations s'opère d'une façon analogue.

Prenons une autre espèce de sensation. On met un morceau de sel dans la bouche de l'opérateur et immédiatement, le sujet crache et accuse une sensation salée ; si on lui met de la confiture, il accuse la sensation d'une saveur douce.

Pour les mouvements, on est arrivé à constater exactement la même chose. Il y avait des transmissions de mouvements et toujours sans que le magnétiseur fit un geste, prononça une parole ; il reste immobile. Si on lui transmet sur un morceau de papier l'ordre suivant : «Le sujet doit lever le bras et étendre horizontalement la jambe», ce dernier exécute après un temps plus ou moins long le mouvement commandé. Il y a eu une multitude d'expériences de ce genre : on a fait asseoir le sujet, se jeter par terre, etc.

Il y a quelque chose de plus remarquable : l'image mentale et ceci nous ramène directement à notre sujet, créée dans le cerveau de l'opérateur, se reproduisait dans le cerveau du sujet de la façon la plus nette ; on avait mis devant le sujet une feuille de papier blanc et un crayon et il dessinait exactement la même image que le magnétiseur avait devant les yeux. Si celui-ci faisait un carré, le sujet dessinait un carré. Si la figure était plus compliquée, par exemple, une comète avec une grande queue, le sujet la reproduisait. Toutes les figures pour ainsi dire ont pu être transmises de cette façon. Si vous avez l'occasion dans les bibliothèques de consulter le bel ouvrage de Myers intitulé : «La personnalité humaine et sa survivance après la mort», vous trouverez dans le texte les photographies des dessins originaux et les reproductions du sujet. Vous verrez cette chose curieuse que quelque fois ce n'est pas une image photographique qui s'est reproduite mais que l'idée même du dessin a pénétré dans le cerveau du sujet.

Ainsi par exemple, on donne, toujours aussi silencieusement, au magnétiseur, l'ordre de dessiner un pied. Il dessine un pied et le sujet perçoit l'idée de «pied» en ce sens que lui dessine une bottine. Ce n'est pas une image photographique qui a été transmise, mais c'est une image qui tient en quelque sorte à celle que le sujet a reçue.

Vous voyez que l'idée peut subir des déformations en passant d'un cerveau dans un autre, tout en restant une idée typique qui se rapproche beaucoup de celle qui a été suggérée.

Voici un autre exemple. L'opérateur dessine une pendule comme on en trouve généralement sur les cheminées avec un sujet quelconque au-dessus ; le sujet reproduit un coucou c'est-à-dire une pendule en bois. C'est toujours l'idée de pendule qui a été transmise, mais le sujet l'a rendue à sa façon avec les accessoires contenus dans son esprit.

Cette transmission de la pensée est absolument nette et absolument démontrée. Il n'y a pas que les savants de la «Société des recherches psychiques» qui aient fait des études sur ce sujet. Lombroso, l'éminent criminaliste, a étudié cette question et vous trouverez dans les Annales psychiques de l'année dernière, des dessins qui vous montreront ceux exécutés par Lombroso et ceux que le sujet a reproduits. Or, il existe entre les deux dessins, la plus grande analogie ; il y a presque identité.

Vous voyez que l'image est sortie du cerveau de l'opérateur, a voyagé dans l'espace, est allée s'impressionner dans le cerveau du sujet et cette image est reproduite graphiquement, exactement, comme si le sujet avait eu un modèle.

Ce modèle lui est venu de l'espace, d'une façon purement psychique. Qui a donné l'image ? Ici il faut nécessairement que nous arrivions à l'étude d'un facteur qui sert à emporter la pensée dans l'espace, qui sert à impressionner en quelque sorte le cerveau du sujet. Eh bien ! ce facteur, c'est la force psychique. C'est cette force que les spirites ont bien étudiée et vous allez voir par le récit des expériences faites qu'on peut donner à l'existence de cette force des démonstrations absolument péremptoires.

Il est évident tout d'abord que cette force sort du corps humain. Je dis que la chose est évidente parce que des hommes aussi scientifiques que Crookes ont construit des appareils dont vous trouverez les descriptions dans son ouvrage, appareils qui enregistrent les variations de puissance de ces forces qui émanent du corps humain. Vous verrez les nombres qui montrent que dans certaines circonstances la force psychique, varie de quelques grammes à plusieurs kilogrammes. C'est cette force qui sert à mettre en oeuvre les objets matériels qui nous permettent d'entrer en communication avec le monde invisible.

Depuis Crookes, il y a eu d'autres expérimentateurs et tout récemment encore Joire, docteur à Lille, a construit un appareil qu'il appelle le Sténomètre ; il démontre que la force qui sort du corps humain peut mettre en mouvement un objet matériel. Il a démontré que cette force n'était pas de la chaleur ni de la lumière, ni de l'électricité mais que c'était positivement et réellement une forme de l'énergie, encore inconnue des physiologistes, mais bien connue par les spirites.

Il y a une deuxième façon de mettre en évidence l'existence de cette force psychique : c'est la photographie.

Notez, Mesdames, Messieurs, que je dois vous mettre en garde contre certaines erreurs d'expérimentation qui ont eu lieu. On vous a montré des photographies, d'ailleurs les journaux illustrés ont reproduit un très grand nombre de clichés où l'on voit des impressions matérielles et on les attribuait à la force psychique. Sans nier qu'elle peut intervenir, il faut convenir aussi que la démonstration n'est pas suffisante.

Les savants qui ont étudié cette question, ce sont plutôt des expérimentateurs que des savants, pour se mettre en garde contre l'objection de la chaleur, ont agi sur la plaque à distance sans contact ; dans ces conditions, les dessins se sont reproduits sur la plaque photographique maintenue dans l'obscurité parfaite. Il y a eu probablement une action de cette force psychique qui agissait sur les sels d'argent comme la lumière et produisait une impression analogue à celle d'où résulte la photographie ordinaire.

Il nous faut étudier maintenant un troisième moyen de prouver l'existence de cette force. C'est l'action physiologique produite par elle. Je vous ai dit que les images avaient non seulement une existence à elles, mais qu'elles sortaient du cerveau, voyageaient dans l'espace. Eh bien ! nous allons voir cette image sortir du cerveau et s'imprimer sur la chair, laisser une trace matérielle, une trace objective, une trace photographiable.

Ici encore, ce ne sont pas des spirites qui affirment une chose aussi invraisemblable ; ce sont des savants, des positivistes qui niaient d'une façon formelle que la pensée existait et à plus forte raison qu'elle pouvait voyager dans l'espace. Je vous ai parlé de Janet. Eh bien ! ouvrons le livre que j'ai cité: L'Automatisme psychologique, vous allez voir qu'un jour cet auteur, pour enlever à un de ces sujets, l'oppression hystérique qu'il éprouvait, lui suggère l'idée qu'il a un sinapisme sur la poitrine. Ce sinapisme imaginaire a produit dans la réalité sur la peau du sujet exactement le même effet qu'un sinapisme qu'on aurait réellement appliqué. La peau du sujet était rouge et chose extraordinaire - la forme de ce sinapisme était celle d'un rectangle dont les angles étaient coupés. Il demanda au sujet : «Comment se fait-il que les angles soient coupés ?» «Mais, Monsieur, dit-il, vous savez bien que quand on met des Rigollots, on coupe toujours les angles de façon à ce que cela ne fasse pas de mal, quand on l'enlève.» Ainsi l'idée que ce sinapisme était rectangulaire, qu'il avait les angles coupés, était sortie de son cerveau et était venue s'appliquer sur la chair et avait produit le même effet qu'un sinapisme ordinaire. Non seulement l'idée s'est créée dans le cerveau du sujet, non seulement elle avait une surface, une forme, mais encore elle s'est photographiée sur son corps en entamant la peau, en produisant un effet physiologique qui était identique à celui qu'aurait produit un sinapisme véritable. N'est-ce pas là un prodige, la véritable extériorisation de la pensée, non seulement de la forme, de la dimension, de la consistance, mais même des propriétés chimiques et physiologiques.

Janet a eu l'idée de se dire : «Au lieu de faire un sinapisme ordinaire, simulons un sinapisme en forme d'étoile à cinq branches.» Il dit au sujet que c'est un sinapisme qui va agir sur sa poitrine. Au bout de deux jours, le sinapisme qui n'existait que dans la mentalité du sujet s'était imprimé sur la peau et avait produit les mêmes effets physiologiques qu'un sinapisme ordinaire. Après cela il a pris un sinapisme imaginaire, en forme de «S» ; le phénomène s'est produit sur son sujet. Vous voyez que l'image mentale existe réellement, qu'elle quitte le cerveau de l'individu et possède les propriétés qu'on veut lui faire posséder.

Des expériences produisant des effets plus marqués encore ont été faites par Focachan, pharmacien.

Il a suggéré à un sujet que sur le bras droit, il lui mettait un vésicatoire ; il a suggéré ensuite que ce vésicatoire devait produire son effet le lendemain. A la place du remède, il mit purement et simplement un morceau de papier gommé et celui-ci a produit identiquement le même effet qu'un vésicatoire.

Charcot a très fréquemment produit des brûlures par suggestion. Le docteur Hébalquin, médecin en chef du premier hôpital de St-Pétersbourg avait un sujet hystérique, très sensible. Pour savoir si positivement les expériences racontées par Charcot étaient une réalité, il dit au sujet : «Quand tu te réveilleras, tu iras toucher la porte du poêle ; tu te brûleras cruellement à la main droite et il y aura une ampoule exactement comme si tu t'étais brûlé.» Notez que le poêle était sans feu. Le sujet se réveille, il va à côté du poêle, pose sa main droite sur la porte, pousse un cri comme si réellement il s'était brûlé et il déclare souffrir énormément. Eh bien ! le lendemain, suivant les procès-verbaux, dressés par les médecins, une ampoule s'était formée. Ainsi, vous voyez non seulement que cette image a une forme fixe, non-seulement qu'elle a une dimension, mais qu'elle possède des propriétés capables de désorganiser la matière vivante.

Mais si on peut la désorganiser, on peut aussi l'organiser. Si vous lisez les travaux des savants sur la suggestion, vous verrez qu'ils se sont servis de ce puissant moyen thérapeutique pour rétablir la santé chez les sujets, qui, sans ce moyen, n'auraient pu revenir à l'état normal. Vous voyez donc que dans la réalité, la suggestion produit des effets qui rendent incontestable la transformation de cette force qui existe dans chacun de nous et qu'on appelle la force psychique.

Voici un autre phénomène plus curieux dont vous avez tous entendu parler. Il consiste en ceci : une femme enceinte étant violemment frappée par la vue d'un objet qui l'émeut, il arrive parfois que l'enfant qu'elle met au monde porte, sur une partie du corps le dessin de l'objet qui a produit l'émotion de la mère.

Nous avons, je crois, dans les cas que j'ai cité tout à l'heure, l'explication de ce phénomène. Il y a eu transport de la pensée de la mère au foetus, impression sur la chair du foetus de cette image mentale. Cette impression reste indélébile ; pendant toute sa vie il aura beau renouveler la matière de son corps, la marque persistera exactement à la même place jusqu'à la fin de la vie.

Voici d'autres cas qu'on a observés chez les mystiques. Vous savez que dans une certaine mesure, certains individus animés par une foi profonde, comme Saint François-de-Sales, ayant l'habitude de concentrer leur pensée sur le mystère de la passion, arrivaient à un moment déterminé à voir une couronne d'épines sur leur tête et dans les mains, les traces qui simulaient l'entrée des clous d'où sortait le sang.

Voici encore un exemple cité par M. Bureau :

Il traça avec la pointe d'un stylet son nom : «Léon» sur le bras d'un sujet et lui donna l'ordre que trois ou quatre heures après, il devait se mettre à saigner sur le contour tracé. En effet, quelques heures après, on remarquait des gouttelettes de sang dont le suintement formait son nom. Vous voyez qu'il est possible de démontrer aujourd'hui qu'on peut arriver à produire des suintements par la suggestion. Donc, chez les mystiques, et même chez les faux mystiques, les phénomènes de la passion qu'on considérait jadis comme des phénomènes miraculeux sont dus très probablement à l'auto-suggestion du sujet. La pensée fixée d'une façon constante sur le martyre du Christ en reproduit toutes les phases et acquiert une telle intensité qu'elle produit sur le corps matériel presque les mêmes effets que produiraient des agents extérieurs.

Nous comprenons maintenant très bien, je pense, que l'âme lorsqu'elle est dans l'espace, agit sur la matière qui l'environne pour lui donner la forme, les dimensions, exactement les mêmes apparences qu'un objet matériel lui-même. Dans les séances de matérialisation, vous voyez en quelque sorte toute la marche ascendante des phénomènes ; tout d'abord - dans les séances ordinaires, alors que le médium est peu développé - vous voyez quelques lueurs ; ce sont des flammes qui semblent voltiger au-dessus des assistants ; puis quand le phénomène prend de la consistance, c'est un fluide blanchâtre qui sort du côté gauche du sujet ; puis, quand le phénomène est encore continué plus loin, ce fluide prend des formes qui varient suivant les individus et suivant la volonté des opérateurs invisibles. C'est ici qu'il existe encore un phénomène bien curieux. Alors même que l'oeil humain ne perçoit pas cette force psychique, l'appareil photographique qui est plus sensible peut prendre et recevoir plus exactement ces impressions et présenter le dessin des objets fluidiques qui existent dans l'espace.

Un savant anglais qui s'appelle Bettie a fait des expériences sur ces forces psychiques et a procédé à une série d'enquêtes. Nous avons ici un double contrôle. En même temps qu'il se livre à ses expériences, un médium voyant était là et on lui demande : «Que voyez-vous ?» au moment où on découvrait l'objectif ? Le médium indique ce qu'il voit ; on prend l'impression et lorsqu'on regarde la plaque, on constate qu'elle reproduit identiquement la description du sujet.

Il y a donc un double contrôle : 1° la médiumnité voyante, 2° la plaque de l'appareil, sur laquelle agit chimiquement la force psychique.

Vous comprenez maintenant que par la volonté, l'esprit peut créer des objets ; il possède le pouvoir d'impressionner sur les fluides environnants sa pensée, de lui donner une forme. Quand, dans les séances de Spiritisme, nous apercevons ces fluides, nous les voyons s'accentuer, se concréter, se condenser, jusqu'à prendre quelquefois l'apparence d'un objet absolument matériel.

Je pourrais vous faire des récits de matérialisation, mais je dois me borner. Cependant je vous citerai un phénomène particulier auquel j'ai assisté moi-même.

Dans une séance qui eut lieu chez mon père, avec un médium qui existe encore, j'ai vu dans de bonnes conditions, alors que nous étions 18 observateurs assis autour d'une table, les rideaux du cabinet, s'écarter. Il faut vous dire que ce cabinet était constitué purement et simplement par le renfoncement d'une fenêtre dans lequel on avait mis un canapé où le médium était couché, et il cachait l'entrée de la fenêtre. Le médium n'aurait pu sortir de ce coin ; le phénomène se produisit de manière que le doute même ne fut pas possible.

Voici les conditions dans lesquelles j'ai vu ce fantôme et comment il m'a mis dans la main, l'objet qui servait à l'éclairer en même temps qu'il servait à nous éclairer nous-mêmes.

Les deux parties du drap qui servait à masquer l'ouverture de la fenêtre s'écartèrent et la forme fluidique s'est déplacée sur et dans la table en conservant sa position verticale ; elle a fait ainsi un parcours de 1m50 ; vous comprenez qu'un individu vivant eût été obligé de se déplacer obliquement s'il avait voulu feindre le phénomène tandis qu'au contraire l'apparition s'est déplacée parallèlement à elle-même en restant tout à fait verticale. Alors, j'ai vu que l'esprit entouré de draperies flottantes tenait dans ses mains un objet rectangulaire, qui servait à l'éclairer ; je lui ai demandé s'il voulait bien me mettre dans la main pendant un instant, cette espèce de lampe d'une nature spéciale. Il me l'a mise en main et j'ai ressenti l'impression d'un objet enveloppé de mousseline mais qui était lumineux ; je le sentis tout à coup fondre dans ma main, tandis que je voyais la lumière diminuer comme le voyaient aussi les autres assistants ; alors, l'être l'a repris en main et immédiatement la lumière est revenue ; le pouvoir lumineux de cette lampe renaissait à mesure que l'esprit la tenait plus longtemps dans sa main.

Un livre écrit par Bodisow, un ancien chambellan de l'Empereur de Russie, raconte qu'il a assisté à des phénomènes analogues. Il y en a bien d'autres d'ailleurs et aujourd'hui le nombre des savants qui se sont occupés de ce phénomène est assez considérable pour que nous puissions affirmer l'existence et même la manifestation matérielle de la force psychique.

Est-ce qu'un inventeur ne construit pas d'abord dans son esprit, le modèle idéal de sa machine ? Est-ce qu'un artiste n'a pas dans son esprit une figuration imagée de ce qu'il doit reproduire sur sa toile ? Raphaël raconte lui-même que ne trouvant pas parmi les modèles qu'il avait à sa disposition des types qui réalisassent ceux qu'il avait dans sa pensée, il peignit l'image qu'il avait dans l'esprit.

On raconte que Michel-Ange restait étendu sur le dos et voyait se dessiner au-dessus de lui la forme de la coupole de St-Pierre avec toutes ses dimensions. Cette image existait réellement pour lui ; s'il avait pu connaître les lois de la force psychique, on aurait pu assister aux mêmes phénomènes que ceux auxquels nous assistons dans les séances de matérialisation.

Mesdames, Messieurs, vous voyez que quand Allan Kardec disait que la pensée est créatrice, qu'elle doit agir pour donner à la force psychique une forme, quand il disait qu'un esprit se reportant à un moment quelconque de son passé, peut le ressusciter, n'avait-il pas raison ? Et de tout cela, nous en avons des preuves certaines dans les travaux des savants contemporains qui étaient loin de se douter qu'ils apportaient au Spiritisme un puissant appui.

Si le temps m'était moins mesuré, je pourrais vous faire remarquer aussi que Kardec a été un des premiers - si ce n'est le premier - à signaler l'existence de ces formes de la matière auxquelles il donnait le nom de fluides. Il n'y avait pas assez de brocards pour charger les malheureux spirites quand il parlait des fluides. On nous disait : «Ne savez-vous pas que la matière a un poids, qu'elle a une masse ; or, vous nous parlez d'une matière immatérielle ; ce sont des mots qui se heurtent d'être accouplés.» Eh bien ! que diront-ils aujourd'hui ceux qui se montraient si sévères à notre égard, alors que nous sommes en présence des radiations nouvelles découvertes dans ces dernières années ; comme vous le disait mon éloquent ami M. Léon Denis, est-ce que nous n'avons pas dans le radium, les phénomènes de la radio-activité, la démonstration et la preuve qu'il existe des formes immatérielles de la matière, qu'il existe des fluides.

Je suis persuadé qu'à mesure que nous continuerons d'étudier, à mesure que la science voudra pénétrer un peu dans le domaine que nous lui avons ouvert, il se fera la plus magnifique union entre la science et le Spiritisme et que nous verrons l'humanité progresser, lentement, mais sûrement, vers un idéal toujours plus haut et plus noble.