CHAPITRE 9
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La désincarnation d'Euripide Barsanulfo

  • Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos.
  • (Matthieu, 11-28)

    En octobre 1918, Euripide eut une vision prémonitoire du célèbre "Traité de Versailles". Son frère Homilton me déclara que le même jour, un autre phénomène eut lieu avec le médium :

    Le même jour, il informa ses parents et quelques amis qu'un esprit lui avait révélé qu'une grande pierre allait tomber du ciel sur l'édifice du Collège Allan Kardec le premier novembre 1918. Il interpréta cet révélation comme étant la date de sa désincarnation.

    Mais plusieurs parents l'interprétèrent différemment. Une pierre tomberait effectivement du ciel, mais elle tuerait quelqu'un d'autre et non pas l'apôtre. Peut-être le colonel José Afonso de Almeida qui gouvernait Sacramento depuis près de vingt ans et qui allait se présenter aux élections le premier novembre...

    Mais peu après, Euripide revint sur la question et dit à monsieur Mogico, madame Meca et à son beau-frère José Rezende da Cunha :

    - Préparez-vous à pleurer le premier novembre...

    Lorsqu'on lui demandait si le rival du colonel José Afonso de Almeida allait gagner les élections du premier novembre, il répondait, souriant et énigmatique :

    - Ce jour là, il y aura beaucoup de pleurs à Sacramento...

    De plus, il demanda aux élèves du Collège Allan Kardec de prévenir leurs parents que, le premier novembre, une personne bien aimée de Sacramento allait se désincarner, mais que personne ne devait avoir de regrets, car cette personne faisait plus défaut dans l'espace que sur terre1...

    Euripide avait alors trente-huit ans et était en parfaite santé.

    Le 12 octobre 1918, il fit son dernier discours, invité par les conseillers municipaux pour honorer, à la mairie, le nouveau Juge de Sacramento, le docteur Humberto Brandi. Le dernier cours au Collège Allan Kardec eut lieu le 23 octobre dans l'après-midi. Il avait donné un cours de Spiritisme sur le thème : "L'église veut que Jésus soit venu au monde en dérogeant à une loi naturelle" (à propos du dogme de la virginité de Marie, que le spiritisme réfute).

    En 1918, une terrible grippe pneumonique se répandit de par le monde. Elle surgit en Espagne, et fut donc nommée "grippe espagnole". Son virus, frayant un chemin pour l'attaque des bactéries, occasionnait un collapsus circulatoire et en vingt-quatre heures, elle tuait les personnes les moins résistantes. La grippe espagnole fit des millions de victimes. Au Portugal, plus de cent mille personnes décédèrent en un an.

    Au Brésil, l'épidémie commença à Rio de Janeiro et se propagea rapidement. Dans l'état de Sao Paulo, on creusait quotidiennement de longues fosses dans tous les cimetières...

    Dans la région d'Uberaba moururent environ six cents personnes par jour au début de l'épidémie. Les sulfamides n'existaient pas ; les médicaments les plus utilisés étaient alors la quinine et l'aspirine...

    Sacramento ne pouvait échapper à l'épidémie. Dans son témoignage, Zófimo Borges, élève du Collège Allan Kardec et peut-être le premier contaminé, m'a déclaré :

    A deux heures de l'après-midi, j'étais en classe et Euripide m'a appelé : "Monsieur Zófimo, venez ici" (tel était l'égard qu'il accordait aux enfants). Effrayé au premier abord en pensant que c'était pour une réprimande, je suis resté à ses côtés pendant qu'il écrivait une ordonnance. Il m'a ensuite recommandé de courir à la pharmacie et de demander à sa soeur Eridite de la préparer d'urgence, et dès que j'avais le médicament, de rentrer immédiatement à la maison. Le collège n'était pas loin de la pharmacie ; deux pâtés de maisons à peine, et du collège à la maison, un demi-pâté de plus. J'ai fait ce qu'il m'a demandé. J'ai couru, mais comme je ne sentais que la fatigue de la course, j'ai décidé de rentrer en marchant. En approchant de ma maison, j'avais du mal à marcher, avec une forte fièvre. C'était la grippe espagnole !

    La missionnaire Amélia Ferreira devant le buste d'Euripide Barsanulfo.

    La ville était déjà sous l'emprise du virus, et quelques heures plus tard, Euripide s'occupait activement de centaines de malades avec une fièvre de quarante degrés. Odilon José Ferreira, déjà adulte, fut témoin de ces jours tragiques. Voici son témoignage :

    Le va-et-vient à la pharmacie était intense, et en 1918, surgit la grippe espagnole, si meurtrière. Sacramento était alors "La Mecque" des souffrants. Les rares hôtels étaient toujours remplis, ainsi que les vingt et quelques pensions et beaucoup de maisons particulières (transformées en pensions). Le va-et-vient à la pharmacie avait augmenté à un tel point que les neuf assistants d'Euripide n'arrivaient plus à accomplir le travail interne et externe. Pharmacien praticien, j'ai été appelé en renfort par Barsanulfo, et ai accepté immédiatement. Nous étions alors dix. Tantôt je restais à la pharmacie, tantôt j'allais appliquer des injections. Nous travaillions de six heures à minuit et nous nous reposions de minuit à six heures. Ainsi, des centaines de malades étaient assistés gratuitement, Euripide envoyant même des médicaments par courrier à des malades distants.

    Le vingt-trois octobre, Euripide fut atteint par le redoutable virus. Odilon José Ferreira nous rapporte ces moments historiques :

    Il n'a pas voulu arrêter de travailler, de secourir les autres, même avec une forte fièvre, le teint violacé et fatigué. Euripide faisait des ordonnances et dirigeait le travail à la pharmacie. Le trente et un octobre 1918, au soir, il m'a dit, très abattu, en me donnant une ordonnance à préparer : "Odilon, racine de... racine de..." et il a vacillé sur la chaise. Comme j'étais le plus proche, je l'ai soutenu pour empêcher sa chute ; d'autres assistants sont accourus pour le secourir. Il est tombé dans le coma, mais il a eu le temps de demander de prendre un bain. Nous l'avons amené dans la salle de bains. Après le bain, nous l'avons rapidement couché dans son lit. Il a alors commencé à ronfler, restant dans le coma jusqu'à minuit lorsque, en ouvrant les yeux, il dit en souriant : "Grâce à toi Seigneur, je suis sauvé !" Nous pensions tous qu'il rendait grâce à Dieu d'être guéri de la maladie. Nous étions très contents. Les élèves présents sont allés dans la cour pour chanter l'hymne du Collège Allan Kardec. Je suis sorti avec les autres pour me reposer, et d'autres personnes, ne travaillant pas à la pharmacie le lendemain, sont restées.

    Cependant, l'apôtre resta au lit2, assisté par madame Meca, qui était elle aussi grippée. Euripide lui dit, en respirant avec difficulté :

    - S'il faut fermer la pharmacie, ferme-la, mais pas le collège. Je désire que mon corps soit enterré dans une tombe rase... un cercueil ordinaire... habillez mon corps avec de vieux vêtements...

    Sa mère, en larmes, embrassa son visage. Elle retourna au salon, soutenue par monsieur Mogico pendant que son fils bien aimé ronflait. Quelques minutes plus tard, Madame Meca entendit l'esprit du docteur Bezerra de Menezes lui dire :

    - Allez dans la chambre voir votre fils. Il est en train de se dégager...

    Elle y alla, posa la main sur la tête d'Euripide, et l'apôtre se désincarna. Les messagers de Jésus l'attendaient. Il était six heures du matin, le premier novembre 1918. La prophétie s'était accomplie !

    Ce fut une grande émotion pour les habitants de Sacramento. Un immense rassemblement se forma devant la maison de monsieur Mogico. Le corps d'Euripide fut habillé et placé dans le cercueil par sa soeur Edalides Milan et par Lourival, ancien élève du Collège Allan Kardec. Il allait être enterré dans une sépulture rase, selon son désir.

    O retira le corps de l'apôtre de la résidence de monsieur Mogico dans l'après-midi, sous une pluie fine et persistante. Le trajet était d'environ un kilomètre et demi. Des milliers de personnes accompagnèrent l'enterrement3.

    Deux jours plus tard, le journal "Lavoura e Comércio" (celui qui avait publié la dénonciation du médecin Jean Teixeira Alvares contre Euripide) se rachetait avec la note suivante4 :

    De Sacramento, nous apprenons le décès de monsieur Euripide Barsanulfo, de la grippe espagnole. Le défunt était très estimé dans cette région par ses vertus chrétiennes et par la morale solide que revêtait son caractère.

    A Sacramento, en plus de maintenir, au grand profit de la jeunesse, un collège très accrédité, il exerçait aussi la charité qu'il distribuait à pleines mains à tous les malheureux qui le recherchaient, en soutenant à ses frais une maison de miséricorde5.

    Très contesté à cause de la doctrine spirite qu'il professait résolument, il n'a cependant jamais démenti sa foi ni fui aux principes qu'il défendait, quelles que soient les conséquences qu'il a pu en éprouver.

    Il est décédé à son poste d'honneur, de dévoué et de juste.

    Sa vie a été un apostolat d'amour et de charité6.


    1 Témoignage de Zófimo Borges, ancien élève du Collège Allan Kardec, habitant à Araraquara. Zófimo est catholique et frère des spirites Margarida et Zenon Borges.


    2 Informations données par Edalides Milan et José Rezende da Cunha.


    3 Après la désincarnation d'Euripide, son frère Watersides Wilon assuma la direction du Collège Allan Kardec.


    4 "Lavoura e Comércio", numéro 2130 du dimanche 3 novembre 1918, page 3, section "Vie Sociale".


    5 Référence au groupe spirite "Espoir et Charité".


    6 Le 17 juin 1964, le journal "Lavoura e Comércio" notifiait que la rue Tangará, par la loi municipale n° 1.268, avait été nommée "Rue du Professeur Euripide Barsanulfo".