DEUXIEME PARTIE

VIII
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Quelques séances chez Léon Denis.

L'une des oeuvres les plus appréciées de Léon Denis, se rapporte à l'expérimentation spirite et a pour titre : Dans l'Invisible (Spiritisme et Médiumnité). Les conseils nécessaires y sont donnés aux chefs de groupes pour créer dans leurs réunions l'ambiance favorable, et nous pouvons certifier que le philosophe mettait en pratique la théorie qu'il enseignait. Chez lui, une séance, si intime qu'elle fût, s'ouvrait toujours par une invocation d'une magnifique envolée. Il savait faire monter vers la grande force Divine et créatrice cet appel ardent, sincère, cet élan de l'âme qu'est la véritable prière. Au fur et à mesure que se déroulaient ses paroles, l'émotion grandissait chez les assistants, les larmes coulaient parfois de leurs yeux. Cette émotion était intensifiée par la voix prenante et grave de l'apôtre. Il s'exprimait en ces termes :

"O Dieu très bon, père du genre humain, nous t'invoquons. Permets qu'une communion s'établisse entre nous et nos amis de l'espace, nos chers guides invisibles : Esprit de Jérôme, Esprit de Jeanne, Esprit de la leçon1, et vous tous guides et amis des personnes présentes. Nous te remercions des grâces que tu nous as accordées et dont nous sentons tous le prix. Tu nous as donné un coeur pour aimer, une intelligence pour nous éclairer ; développe en nous ces facultés, rends-nous de jour en jour plus aptes à comprendre les lois divines, à pénétrer tes intentions ; permets que, par notre foi, notre activité à servir tes désirs nous nous rapprochions toujours plus près de toi.

Nous te prions ô Dieu ! pour nos frères, les esprits arriérés qui, dans ce monde et dans l'autre, errent et s'attardent sur les plans inférieurs ; pour ceux qu'on appelle improprement : Les morts, et aussi pour les vivants dont l'âme emprisonnée dans la chair est parfois si faible devant la tentation. Nous te prions pour nos ennemis, pour tous ceux qui nous ont fait souffrir ; sachons-leur gré d'avoir travaillé à notre avancement spirituel. Nous te prions enfin pour tous ceux qui luttent dans la vie et qu'un rude labeur accable. Nous te demandons d'accorder à notre médium le développement de la faculté que tu lui as donnée ; garde-le, protège-le et permets que, par son intermédiaire, nous puissions entrer en communion avec ce monde invisible dont nous faisons partie intégrante, étant appelés à y retourner quand tu jugeras l'heure venue."

Dans une série de très beaux articles intitulés : Le Spiritisme et les forces radiantes2, le Maître a montré la force de la prière et de la pensée, le rôle qu'elles jouent dans les séances expérimentales :

"Qui pourrait nier la puissance de la pensée, dit-il ? n'est-ce pas elle qui dirige l'humanité dans sa voie âpre et douloureuse ? N'est-ce pas elle qui inspire le génie et prépare les révolutions ? Or, le rôle prépondérant qu'elle joue dans l'histoire du monde, nous le retrouvons, sur un plan plus modeste dans les assemblées spirites. La pensée d'En-Haut surpasse en énergie toutes les forces d'ici-bas ; cependant pour se communiquer aux humains, il faut lui offrir des conditions favorables. De même que les postes de T.S.F. doivent s'accorder aux ondes pour recevoir le message transmis, il faut que les âmes des assistants mettent leurs pensées et leurs radiations en harmonie pour percevoir la pensée supérieure. En dehors de ces conditions, l'action de l'esprit élevé sera difficile, précaire, souvent impossible et le champ restera ouvert aux esprits légers, à toutes les mauvaises influences de l'au-delà. Par quel procédé peut-on donner aux pensées, aux radiations fluidiques d'un même groupe cette unité d'ensemble, ce caractère élevé, cette sorte de synchronisme qui crée une ambiance pure, permettant à l'Esprit élevé de se manifester ?

"Nous répondrons sans hésiter : par la prière. Non pas, certes, la prière comme on la pratique dans les Eglises, cette récitation monotone que murmurent les lèvres et qui est sans effet sur les vibrations de l'âme. Nous appelons prière le cri du coeur, l'appel ardent, l'improvisation chaleureuse qui communique une impulsion irrésistible à nos énergies cachées. Ces énergies profondes vibrent avec intensité, s'imprègnent des qualités de notre prière. Dès lors elles facilitent l'intervention des Esprits guides, celle des amis, et éloignent les esprits de ténèbres. La musique par son rythme, contribue aussi à unifier les pensées et les fluides.

"Envisagée sous ces aspects, la prière perd le soi-disant caractère mystique, que certains sceptiques lui attribuent pour devenir un moyen pratique, positif presque scientifique d'unifier les forces en action et de nous procurer des phénomènes de haute valeur. La prière est l'expression la plus haute de la pensée et de la volonté. C'est dans ce sens qu'Allan Kardec la recommandait à ses disciples. Les religions possédaient une ressource précieuse pour élever et améliorer l'être humain, mais la pratique en devient banale si elle cesse d'être cet élan spontané de l'âme, qui en fait vibrer les cordes profondes... Vous tous qui par l'étude du monde invisible, dans vos rapports avec l'au-delà, cherchez les certitudes qui fortifient et consolent, les grandes vérités qui illuminent la vie, tracent la voie à suivre, fixent le but de l'évolution ; vous tous qui cherchez à acquérir les forces spirituelles qui soutiennent dans la lutte et dans l'épreuve, qui nous préservent des tentations d'un monde matériel et trompeur, unissez vos pensées, vos volontés, faites jaillir de vos âmes ces courants puissants, ces courants fluidiques qui attirent à vous les entités protectrices, les amis défunts. Si vous savez persévérer dans vos appels, dans vos recherches, dans vos désirs, elles viendront à vous ces âmes, et leurs conseils, leurs enseignements, leurs secours se déverseront sur vous comme une rosée bienfaisante. Dans cette communion croissante avec l'invisible, vous puiserez une vie nouvelle, vous vous sentirez réconfortés, régénérés."

Léon Denis apporta beaucoup de persévérance dans l'expérimentation spirite, et c'est par une suite de labeurs ininterrompus qu'il connut la jouissance des rapports avec les Esprits supérieurs. Nous tenons à mettre sous les yeux du lecteur cette belle page du Maître extraite de l'article paru dans la Revue Spirite sous le titre : Les temps difficiles3 et dans laquelle il montre les conditions requises pour que se produisent des manifestations élevées.

"On trouve parfois dans nos revues l'opinion que nous ne pouvons pas savoir les conditions de l'existence dans l'Au-delà. C'est une erreur qu'il importe de rectifier. Toute la doctrine du spiritisme recueillie par Allan Kardec repose sur des messages d'Esprits, sur un ensemble de questions et de réponses qui constitue un dialogue substantiel et nourri. Moi-même j'ai publié depuis dix ans dans cette revue des relations d'Esprits sur des sujets hors de ma portée et de celle des médiums. Il est vrai qu'il faut procéder dans cet ordre de faits avec une grande prudence, faire la part de l'auto-suggestion et se rappeler qu'il existe autour de notre monde inférieur des foules d'esprits arriérés, avides de se manifester, et qui se plaisent à nous mystifier. Pour obtenir la collaboration des esprits éclairés, il faut offrir des garanties suffisantes, non seulement se trouver dans les conditions psychiques requises, mais, par un entraînement moral prolongé, par l'élévation de la pensée, le détachement des choses basses et matérielles, s'être adapté aux radiations de l'espace. Il y a là une sorte d'initiation. Ce n'est qu'après vingt ans de recherches et d'études variées que je suis parvenu à communiquer avec de hautes Entités. Certes, les messages, les communications apocryphes signées de noms célèbres et faux ne sont pas rares ; on les reconnaît facilement à leur rédaction défectueuse et à certains détails révélateurs de supercherie. Mais il y a aussi les messages authentiques qui s'affirment par leur valeur et par les preuves d'identité qu'ils renferment. Le guide principal de notre groupe s'est communiqué depuis trente ans par des médiums différents qui ne se sont pas tous connus entre eux et, son langage, ses attitudes, sa manière d'être et de penser restent identiques malgré le changement d'interprète."

Avec Léon Denis pour directeur, c'est sans la moindre appréhension, le coeur calme, l'esprit serein, qu'on entrait en contact avec les Entités auxquelles le Maître faisait appel. Dans les trois dernières années de la vie du philosophe, nous eûmes quelques séances inoubliables ; sa modeste chambre devenait pour les assistants un temple solennel, le médium, un aveugle, la décrivait rayonnante de lumière, de merveilleuses couleurs, il était parfois ébloui et se voilait les yeux comme s'il n'en pouvait supporter l'éclat.

Oui, cette chambre, même en dehors des séances, était bien un temple habité par les invisibles. Plus Léon Denis avançait en âge, plus il devait acquérir le pouvoir d'extériorisation et ses guides lui faisaient sentir leur présence ; il nous a dit souvent : "Je les sens près de moi".

Pour l'Apôtre, les heures de solitude étaient précieuses entre toutes ; son âme s'enrichissait et accumulait des forces. C'était aussi les heures où il songeait aux nombreux amis qui l'attendaient de "l'autre côté" et aussi aux Grandes Ames, auxquelles il avait été lié dans une succession de vies antérieures par les liens du sang et de l'affection.

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Remontons à l'époque où nous fîmes la connaissance de Léon Denis. Le cercle qu'il avait dirigé pendant trente ans n'existait plus, la plupart de ses membres étaient morts ou dispersés, cependant l'un des meilleurs médiums de ce cercle : Mme Forget, vivait toujours, et sur la présentation du Maître nous reçûmes d'elle l'accueil le plus chaleureux. C'était une très petite femme, toute menue, distinguée, dont le son de voix disait la douceur, l'affabilité même, elle était très âgée, mais sous une frêle apparence, on devinait une âme forte dans un corps sain. Ses gestes étaient empreints d'une extrême vivacité et sa parole était prompte.

Nous savons que ses nombreuses facultés médianimiques se révélèrent les unes après les autres et qu'elles servirent exclusivement au groupe formé chez elle, en 1892, et dont le directeur fut Léon Denis, ami de son mari. Ce dernier tenait le livre des procès-verbaux des séances. Une excellente direction fut donc imprimée à ce groupe. Le Maître, âgé de quarante-six ans, était déjà très averti par l'étude complète de l'oeuvre d'Allan Kardec, de plus il avait acquis beaucoup d'expérience par la fréquentation de plusieurs centres spirites.

Quand Mme Forget était plongée dans la transe médianimique, elle parlait le buste redressé dans son fauteuil et les yeux grands ouverts, ce qui était très curieux. Ses inflexions de voix variaient selon les Entités qu'elle incarnait. D'une grande douceur quand c'était un esprit féminin, d'une vigueur déconcertante lorsque l'entité était masculine.

De temps en temps, un mot nous conviait à une séance. Nous avons gardé vivace le souvenir de celles qui eurent lieu pendant la guerre4, alors que le Maître interrogeait son guide sur "la situation". On se doute avec quelle anxiété la réponse était attendue !

En 1915, nous étions réunis le jeudi de l'Ascension, c'était au lendemain du désastre de Carency, nos coeurs étaient étreints d'une morne tristesse. Si quelques-uns d'entre nous jusqu'alors avaient pu supposer que les Esprits contemplaient la guerre sans amertume ils furent contraints de changer d'opinion après avoir entendu le message d'un docteur, Esprit familier du groupe. Il nous dit l'angoisse et la pitié ressenties dans l'espace à la vue de tant de pauvres soldats couchés sur le champ de bataille. Son rôle était d'assister les brancardiers, les chirurgiens, afin de leur donner des forces pour qu'ils ne fléchissent pas sous le poids de fatigues excessives.

Nous vîmes à d'autres séances une jeune femme, récemment frappée dans ses plus chères affections, recevoir par l'intermédiaire de Mme Forget des consolations de celui qui était mort au champ d'honneur. Une mère, privée d'un fils qu'elle chérissait, s'attira une réponse impressionnante qui était pour nous tous un enseignement. Elle dit à l'esprit Jérôme de Prague : "Cet enfant était mon préféré". D'une voix forte, le médium laissa tomber ces mots : "On ne doit pas avoir de préférence pour l'un de ses enfants, c'est alors que la hache tombe !"

En 1917, Léon Denis vit ses relations avec le monde invisible brusquement interrompues par la mort de son médium. Avec la force d'âme qui le caractérisait, il supporta vaillamment cette épreuve. Trois ans s'écoulèrent, puis, soudainement, un changement se produisit. Deux parisiennes, Mmes H. et C., ferventes adeptes du spiritisme, étaient venues à Tours, dans le but de connaître l'auteur d'Après la Mort. Elles demandèrent au Maître s'il ne pourrait pas les faire assister à une séance. Un groupe de personnes des environs ayant manifesté le même désir auparavant, Léon Denis pensa qu'il aurait mauvaise grâce à se récuser, mais il avoua qu'il n'avait à sa disposition que des médiums écrivains peu développés. Une dizaine d'invités prirent place sans aucune présentation préalable, autour d'une grande table couverte de feuilles de papier et d'un "oui-ja"5.

La séance commença par une invocation du Maître, l'invocation est de rigueur pour créer ce qu'on appelle un champ magnétique vibratoire, pour harmoniser autant que possible les fluides des assistants, condition sine qua non d'une bonne réunion spirite. "La prière en commun, a écrit le Maître6, est une force qui en canalise d'autres, occultes et spirituelles, beaucoup plus puissantes, elle joue en cette circonstance un rôle que comprennent seuls les spirites qui savent que des courants d'ondes psychiques traversent l'espace, mettant en relation le monde invisible et le monde visible, par l'intermédiaire de médiums, ou sensitifs, qui font l'office de pôles".

L'attention se porta immédiatement du côté de Mme H., qui, à l'étonnement général, avait penché la tête sur le dossier de son fauteuil, et poussait quelques soupirs en étirant les bras. L'amie de la dormeuse nous fit signe de ne pas nous émouvoir, et, quelques minutes après, le médium était, selon l'expression consacrée, pris par une vigoureuse Entité qui, d'une voix rude et autoritaire dit au Maître : "Me voici, tu me reconnais ?" Léon Denis ayant à la vigueur de l'interpellation parfaitement reconnu son guide, Jérôme de Prague, la conversation s'engagea entre "le Père et le fils", car Jérôme appelait toujours l'écrivain "Mon enfant".

Dans sa brochure : Esprits et Médiums, Léon Denis a relaté ainsi cette séance :

"Un entretien s'établit entre nous et pendant près d'une heure, cet esprit m'exposa ses vues sur la situation du spiritisme, parlant de nos travaux communs dans le passé, avec des détails, des particularités, dont le médium ne pouvait absolument rien savoir."

Et le maître crut devoir enregistrer, dans la même brochure, l'incident suivant qui vint donner une preuve remarquable d'identité à toutes les personnes réunies chez lui :

"Un de nos médiums écrivains traça avec l'aide d'un esprit bienveillant, la plainte d'un suicidé qui implorait les secours de nos prières. Ce suicidé regrettait amèrement d'avoir déserté la vie, il exposa sa situation douloureuse en des termes qui allaient permettre de le reconnaître.

Une dame des environs, amenée par un autre membre du groupe et qui assistait pour la première fois à une réunion spirite, manifestait tout d'abord quelque scepticisme à l'endroit des phénomènes obtenus. Mais, à la lecture du message, elle pâlit, se troubla, et déclara qu'il s'agissait de son père qui s'était pendu il y a quelques mois à la suite de revers de fortune. Le fait nous fut confirmé par d'autres habitants de la même localité."

Les deux aimables parisiennes revinrent souvent à Tours. Fréquentant un cercle de Paris, elles reçurent en juin 1926, l'ordre impérieux d'y retourner. Elles s'annoncèrent pour demander au Maître s'il lui plairait de les revoir. Il leur répondit avec empressement qu'elles seraient toujours les bienvenues et les pria à déjeuner. La séance fut fort intéressante. Ces dames repartirent le même soir. Ce devait être la dernière fois qu'elles prêtaient leur concours à Léon Denis.

Lors de sa première visite, Mme H. avait développé la médiumnité d'une personne présente. Il n'est pas rare, en effet, de voir un médium exercé donner l'élan nécessaire à un débutant. Cet ami, tout dévoué au Maître, devait continuer à lui communiquer chaque quinzaine, par voie d'incorporation, les enseignements de ses guides. Nous vîmes s'accroître ses facultés par un travail régulièrement poursuivi dans la plus grande intimité. Au début, de nombreuses Entités, parentes ou amies des personnes présentes, se firent fort bien reconnaître par leurs propos, leurs gestes, leurs attitudes. Plus tard quelques Esprits ayant appartenu aux lettres, au théâtre, se présentèrent au groupe en donnant comme réponse à notre question : "Qui êtes vous ?" le nom de leurs oeuvres : "L'auteur de la Massière", nous fut-il répondu un jour, et une autre fois : "Vous ne connaissez pas la Veine ?" Capus qui habitait la Touraine chaque été, fut salué avec joie par l'assistance, mais il nous fut impossible de trouver le nom de l'auteur de la Massière, pièce dont chacun de nous avait cependant entendu parler lorsqu'elle tenait la rampe. Jules Lemaître dut se nommer.

Les travaux que Léon Denis avait en cours sur la question Sociale, l'enseignement laïque et le Génie Celtique, attirèrent des Esprits qui, de leur vivant, s'étaient intéressés à ces importantes questions. Des enseignements lui furent donnés par Paul Bert, Jules Ferry, Carnot, ex président de la République, Renan, Jaurès, Allan Kardec7.

Dans cet ordre d'expérimentation, la loi d'affinité préside aux rapports entre incarnés et désincarnés. Nous garderons toujours le souvenir de Léon Denis se découvrant devant l'Esprit qui s'annonçait, qu'il soit ami ou inconnu, Esprit modeste ou Esprit supérieur ; "Vous êtes le bienvenu, cher Esprit" lui disait-il, et la conversation s'engageait sur un ton grave ou badin, traitant d'un sujet toujours intéressant, mais de valeur différente, suivant l'esprit qui se présentait.

Nous fûmes particulièrement intéressés par le dialogue échangé entre le Maître et Renan. Léon Denis exprimant à l'auteur de La Vie de Jésus, ses regrets qu'il n'eut pas connu les phénomènes psychiques, ajoutait : "A la lecture de vos pages, je déplorais que ces clartés vous eussent fait défaut. Quel merveilleux livre vous auriez alors écrit !" Et Renan lui répondit : "Je regrette maintenant d'avoir écrit ce livre".

Léon Denis passait tous les messages reçus au crible de son jugement et toujours apportait un esprit critique dans les milieux divers où il fréquentait. Que de fois, nous a-t-il dit s'être attiré beaucoup d'ennemis, en dénonçant publiquement, d'accord avec d'autres psychistes, un célèbre médium exotique, qui, en 1909, après avoir obtenu des apparitions parfaitement authentiques, des phénomènes de réelle valeur, abusa de ses facultés et se livra à des supercheries répétées, en des milieux hétérogènes et en présence de nombreux témoins. On avait eu le tort de vouloir lui faire produire des phénomènes tous les soirs.

Léon Denis, entièrement opposé à la rétribution de la médiumnité estimait que l'exercice de cette belle faculté devait toujours être gratuit afin que le gain n'incite pas les médiums à tricher. Le Maître aimait à répéter ces mots : "Avant tout, le spiritisme doit être honnête ou il ne sera pas". Il déplorait l'engouement désordonné de certaines personnes pour les médiums célèbres et ne cachait pas son indignation à ce sujet.

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Il est très intéressant de contrôler les dires d'une Entité communicante et d'arriver à pouvoir réunir des preuves de son existence sur la terre. Cette tâche m'incomba un jour. Le Maître reçut de Nancy la lettre suivante que lui adressait M. Westermann, ingénieur, membre de la Société des sciences psychiques de cette ville. "J'ai assisté dernièrement à une séance dans un cercle privé, donnée par un médium à incarnation, non professionnel, qui est une des dames de cette Société. Nous eûmes une manifestation dont la netteté et la précision des détails m'ont donné le désir d'en faire l'identification. Ame souffrante, voyant toujours ses victimes, ce serait un assassin Pierre Lefèvre, ayant tué en décembre 1915, Mme Dormeau, fermière à Pezou (Loir-et-Cher) et ses deux enfants, et qui aurait été exécuté à Tours le 10 juin 1916. Il raconte qu'il faisait très froid, qu'il avait faim, qu'il a demandé du travail à la fermière et devant son refus, s'est fâché, a sauté sur elle et l'a étranglée (Il en faisait le geste en le disant). Les deux enfants en pleurs subirent le même sort. Cette confession pénible et obtenue par bribes, ne semble pas provenir de souvenirs inconscients du médium, la vérification m'intéresserait et renforcerait les chances de l'explication spirite."

Nous nous sommes procuré à la bibliothèque de Tours, la collection de l'année 1916 de la Touraine Républicaine.

Dans l'édition du soir du dimanche 11 juin 1916, nous avons trouvé en première page, sixième colonne, ce qui suit :

L'exécution de Lefèbvre. - Lefèbvre, l'auteur du triple assassinat de Pezou, a payé ce matin, sa dette à la Société, on se rappelle que Lefèbvre avait assassiné au hameau de Montplaisir, commune de Pezou (Loir-et-Cher), une fermière, Mme Dormeau et ses deux enfants, une fillette âgée de 5 ans, et un petit garçon de 9 ans. Condamné à mort par la Cour d'assises du Loir-et-Cher, le 19 novembre 1915, il avait été renvoyé devant la Cour d'assises d'Indre-et-Loire, à la suite de l'annulation du premier arrêt par la Cour de cassation. La Cour d'assises d'Indre-et-Loire a prononcé également contre lui une condamnation à la peine capitale, le 25 mars dernier.

La Touraine Républicaine du 26 mars 1916, donnait le procès, on y lisait les détails suivants : L'assassin est né le 7 décembre 1858, à Morce, arrondissement de Vendôme, il était journalier à Pezou, et travaillait avec un nommé Boizard chez Mme Dormeau dont le mari était mobilisé. C'est avec ce complice qu'il résolut d'assassiner celle-ci le 18 janvier 19158, vers 9 heures du soir. Il entre dans la chambre, enfonce la porte et comme la fermière s'avançait et lui porte un coup à la tête puis un autre à l'aide d'un madrier de bois. De la même façon, il tue ensuite la fillette et le petit garçon.

L'occasion nous en étant fournie par ce récit, disons que Léon Denis n'était pas partisan de la peine de mort. Faisant un jour partie du Jury, lors d'une séance de Cour d'assises, il ne craignit pas de donner son sentiment à ce sujet, et fut écouté des jurés avec une grande attention : "En tuant le corps, vous ne tuez pas l'âme d'un assassin, leur dit-il, et vous libérez des forces mauvaises qui, de retour à l'espace, continueront à s'exercer et à nuire aux vivants d'une façon beaucoup plus intense." Ceci prouve que le Maître agissait toujours d'accord avec ses principes et ne craignait pas de motiver ses actes publics.

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Léon Denis ne s'adressait jamais impérieusement aux Esprits, il ne les appelait jamais individuellement et préférait les laisser venir à leur gré. L'incorporation, c'est-à-dire le phénomène par lequel un esprit se sert du corps d'un sujet appelé médium, l'incorporation n'exigeant pas l'obscurité, le Maître expérimentait chez lui en pleine lumière. A l'époque où je l'ai connu, il n'endormait jamais un médium au moyen de passes magnétiques, seuls les invisibles s'en chargeaient.

Nous ne pouvons relater ici les expériences du Maître, il les a résumées dans plusieurs de ses ouvrages, particulièrement dans le chapitre intitulé : Premières expériences du livre cité au début de cette étude : Dans l'Invisible. Il a retracé aussi toute l'histoire du développement du spiritisme à Tours dans le travail qu'il élabora en vue du Congrès de Paris en 1925 et que le compte rendu de ce congrès a publié.

Feuilletant, un an après la mort du Maître, un livre de communications manuscrites lui ayant appartenu, et tombé entre nos mains d'une manière très inattendue, nous y découvrîmes le procès-verbal d'une séance, le voici :

Tours, le 1° Novembre 1879. - Séance avec l'aide de MM. Lebreton et Cornilleau. "Un esprit souffrant se manifeste d'abord par la table sous le nom de Louis-Victor Savary. Après quelques phrases incohérentes, il se retire, laissant la place à l'esprit Volliate, guide spirituel du groupe du Mans, qui nous recommande de prier pour celui qui vient de nous quitter. Sur l'ordre de Volliate, nous éteignons toutes les lumières et nous adoptons les dispositions suivantes autour de la table. En face de M. Lebreton se place Aguzoli ayant Pierre Houdée à sa droite et Harmant à sa gauche, M. Cornilleau à droite et Denis à gauche de M. Lebreton. Ainsi est formée la première chaîne, la deuxième s'établit en arrière dans l'ordre suivant : Gratel tenant la main droite de Cornilleau, puis Brard, Mme Denis, Mme Gratel, M. Théodet Fergon en contact avec Denis. Au bout d'un instant, après un chaleureux appel, l'esprit Blanche se manifeste par des coups dans la table, roulement d'ongles sur les murs, les boiseries, imitant la retraite, il secoue le tablier métallique de la cheminée, agite les chandeliers, transporte une chaise sur la table et frappe des coups violents. Des projections lumineuses enveloppent le médium durant toute la séance. Des points lumineux en forme de boules vivement éclairées, s'agitent en tous sens autour de la table, elles montent au plafond, redescendent, s'évanouissent pour se reformer sur d'autres points. De tous ces foyers lumineux se détachent de petites spirales de fumée blanche phosphorescente. Une odeur de phosphore suit la production de ces phénomènes. Des doigts, une main, sont vaguement entrevus par certains assistants. Cette main petite, effilée, se promène sur les cheveux et sur les vêtements de MM. Lebreton, Cornilleau, Denis, Harmant et Gratel. Son contact léger, agréable, ressemble à celui d'une main d'enfant. Le médium s'endort et voit l'esprit d'une jeune fille de 18 ans, brillant de lumière qui se tient à sa gauche. Cet esprit s'approche souvent de Mme Théodet. Elle se rend même visible à ses yeux, sous la forme d'une ombre blanche qui la serre dans ses bras. Elle reconnaît sa fille Estelle, morte depuis 3 ans. D'autres esprits apparaissent en foule au médium qui les dépeint. On reconnaît successivement François Liouville, Barbe Vaudeville, Mme Harmant, Sylvain Brard, Vidal, esprit connu du Docteur Aguzoli, M. Lebreton endormi se lève et fait le tour de la salle, il va se placer derrière le Docteur. Il entame avec lui une explication sur la maladie de M. Denis père, et entre à ce sujet dans de nombreux détails scientifiques desquels il résulte que l'usage de l'ammoniaque procurerait un soulagement aux palpitations de coeur dont il souffre. Après de sincères remerciements aux bons guides, l'assistance se sépare à minuit et demi, emportant de celte séance une vive impression, un sentiment de foi ardente et de fraternité."

Léon Denis obtint aussi quelques apports dans des cercles étrangers au sien. Il mentionne un phénomène de ce genre dans son ouvrage Christianisme et Spiritisme9. Ce phénomène présente une double curiosité : il y a 1° apport d'un papier ; 2° écriture directe obtenue sur le papier même, ainsi que les spirites en obtiennent, avec l'aide de certains médiums sur des ardoises doubles fermées, scellées, cachetées et à l'intérieur desquelles ils ont placé un fragment de crayon. Mais faisons parler le Maître : "Nous avons assisté à la production de plusieurs faits de ce genre : Un jour, entre autres, à Orange, au cours d'une séance de spiritisme, nous vîmes descendre dans le vide, au-dessus de notre tête un lambeau de papier qui semblait sortir du plafond et vint lentement s'abattre dans notre chapeau, placé sur la table près de nous. Deux lignes d'une fine écriture, deux vers y étaient tracés, ils exprimaient un avertissement, une prédiction nous concernant et qui s'est réalisée depuis."

Léon Denis n'a pas cité ces deux lignes par modestie, après son décès, l'apport entra en notre possession, voici la pensée qu'il exprime :

L'avenir vous sourit, jeune homme au front serein

Car je lis dans vos yeux un superbe destin.

Le Maître préférait avant tout l'expérience d'ordre intellectuel. Il dit au Congrès de Paris :

"Pour obtenir l'assistance, la collaboration des Esprits élevés, il faut leur présenter des qualités spéciales : la sincérité, le désintéressement, la recherche par-dessus tout d'un but moral, d'un but d'instruction, d'élévation, de perfectionnement. Ces esprits lisent en nous et ils ne consentent à descendre sur notre planète inférieure, à supporter les fluides malsains qui enveloppent la terre, que pour servir une cause noble et généreuse. Il faut pour les attirer, renoncer à toute prétention, et comprendre la faiblesse et le dénuement de l'homme en face de cet océan de forces et de vie qu'est le monde invisible. Et c'est précisément cette compréhension qui manque à certains expérimentateurs qui abordent ce domaine de recherches sans protection, sans assistance élevée, et endossent ainsi la responsabilité de mettre en jeu des forces qu'ils sont impuissants à diriger."

Le docteur Gibier a dépeint dans : Analyse des Choses et Spiritisme ou Fakirisme occidental, les scènes tragiques qui se passèrent dans l'amphithéâtre de l'Ecole de Médecine que des étudiants avaient choisi comme lieu de leurs réunions. D'autre part un cas tragique fut signalé par la revue italienne Luce Ombra10 et reproduit dans la Revue Spirite.

Le spiritisme expérimental, on le comprendra aisément, est une arme dangereuse, à double tranchant. Pratiqué avec sagesse, méthode, dans un but sérieux, comme il l'était chez le Maître, il devient un sacerdoce. Pratiqué avec légèreté, il perd tout caractère d'étude, et, c'est un amusement qui constitue un danger.

Les expériences spirites pour être bonnes et profitables doivent être pratiquées par une élite morale et avertie. C'est pourquoi les membres des différents clergés croient bien faire en interdisant à leurs fidèles de se livrer à des expériences.

Une grande cause de tristesse pour le Maître était de constater la frivolité avec laquelle tant de personnes se livrent à la pratique du spiritisme, sans instruction préalable les mettant en garde contre les dangers courus. Il conseillait de préférence l'expérimentation dans le cercle familial. Là, mieux qu'ailleurs, les désincarnés y doivent trouver l'ambiance et les fluides nécessaires à leurs manifestations et aussi le pieux recueillement des coeurs.

Le Maître a écrit :

"Il y aura toujours un spiritisme de bas étage qui nuira à l'autre, mais tous ceux qui, de ce spiritisme terre à terre ont su par la patience, la persévérance, s'élever vers une expérimentation plus haute, ceux-là seuls ont su comprendre toute la grandeur et l'efficacité du spiritisme.

"La pratique de cette science ne doit pas seulement nous procurer les instructions de l'au-delà, la solution des graves problèmes de la vie et de la mort, elle peut aussi nous apprendre à mettre nos propres radiations en harmonie avec la vibration éternelle et divine, à les diriger, à les discipliner. N'oublions pas que c'est par un entraînement psychique graduel, par une application méthodique de nos forces, de nos fluides, de nos pensées, de nos aspirations, que nous préparons notre rôle et notre avenir dans le monde invisible, rôle et avenir qui seront d'autant plus grands et meilleurs que nous serons parvenus à faire de notre âme un foyer plus rayonnant de forces, de sagesse, et d'amour."

L'indifférence de la jeune génération aux expériences des savants du siècle dernier lui était aussi très pénible. "Il faudra donc toujours apprendre, toujours tâtonner, disait-il, les William Crookes, les Myers, les Ochorowicz, auront eu beau parler on ne les aura point écoutés !"

Hélas ! ce n'est que trop vrai, la jeune génération court si vite qu'elle n'a pas le temps de jeter un regard en arrière. Cela lui permet de s'imaginer qu'elle a tout inventé et ne doit rien aux anciens. Cette attitude est particulièrement néfaste lorsqu'il s'agit d'une jeune science comme la science psychique. Que de marches en arrière, que de piétinements n'a-t-elle pas connus ! Léon Denis exhalait cette tristesse en écrivant :

"On nous reproche de conclure trop hâtivement ! Or, voici des phénomènes qui se produisent depuis les premiers siècles de l'histoire, on les constate expérimentalement et scientifiquement depuis près de cent ans et l'on trouve nos conclusions prématurées ! Mais dans mille ans il y aura encore des attardés qui trouveront qu'il est trop tôt pour conclure. Or, l'humanité éprouve un besoin impérieux de savoir et le désordre moral qui sévit à notre époque est dû en grande partie à l'incertitude qui plane encore sur cette question essentielle de la survivance11."

Désirant faire connaître Léon Denis dans l'intimité et propager sa doctrine, nous ne pouvons mieux terminer ce chapitre qu'en reproduisant ce qu'il a écrit dans la Revue Spirite, sur les enseignements des Esprits guides.

"Si j'avais à résumer en traits simples et concis les enseignements des esprits guides, je dirais : La loi suprême de l'univers, c'est le bien et le beau, et l'évolution des êtres à travers les temps, à travers les mondes n'a d'autre but que la conquête lente et graduée de ces deux formes de la perfection.

Mais l'entendement humain ne se contente pas de formules, il lui faut aussi des images, que précisément la nature nous offre à profusion. Par exemple la vie de l'arbre n'est-elle pas une image frappante de l'évolution de l'âme ? Tous les deux s'élaborent au sein de la matière, y plongent des racines profondes pour en absorber les sucs nourriciers. Telle est la vie de l'âme incarnée sur les mondes planétaires. Puis, elle se dégage, monte peu à peu vers la lumière et, de même que l'arbre étend ses rameaux, elle accroît sa puissance de radiation sur les milieux qu'elle habite, puis, monte encore pour s'épanouir et aspirer vers le ciel.

La vérité est que nous sommes entraînés par un puissant courant évolutif vers de plus hautes destinées. Cette notion est capable de révolutionner la vie sociale sous toutes ses formes, car elle donne à notre existence sur la terre un sens plus large, un but plus élevé.

Sans renier son passé, l'heure est venue pour l'humanité de renoncer aux formules vieillies et de s'engager résolument dans une voie nouvelle faite de lumière et de liberté. Les maux de notre temps proviennent de ce que nous persistons à vivre d'un idéal devenu stérile, et même, le plus souvent, sans aucun idéal, alors que l'univers ouvre à la pensée ses horizons infinis, l'empire de vie, échelle prodigieuse dont tout nous convie à monter les degrés.

L'enseignement des Esprits, comme un rayon d'en-haut, vient dissiper nos ténèbres et nous montrer le chemin de l'avenir. Mais l'homme, semblable au prisonnier sortant de son cachot, ou à l'aveugle qui, soudain, recouvre la vue, l'homme reste ébloui devant l'éclat du jour et hésite à s'aventurer dans la voie nouvelle.

Au milieu de notre siècle tourmenté, sous le coup des épreuves subies, la pensée s'inquiète, la conscience s'éveille, on se demande à quoi bon tant de progrès matériels si l'homme n'en est que plus malheureux et plus mauvais ? On a beaucoup fait pour la matière, c'est-à-dire pour le corps, mais qu'a-t-on fait pour l'esprit, qui est la véritable source de vie en nous ? L'esprit a été nié, méconnu, méprisé par les uns ; les autres ne l'ont entrevu qu'à travers le voile de formules épuisées."


1 C'est sous ce nom que le guide du médium s'était révélé à lui.


2 Voir Revue Spirite, n° de Mars 1923.


3 Voir Revue Spirite, n° de Septembre 1926, page 387.


4 Léon Denis dans son Monde invisible et la Guerre, a dit quel réconfort lui donnèrent pendant la grande tourmente les prévisions des esprits ses guides. Toujours scrupuleux en pareille matière, le Maître a donné la date exacte chaque message annonçant une prédiction qui devait se réaliser quelque mois plus tard.


5 Petit appareil d'origine américaine, composé d'un minuscule tabouret triangulaire, dont les pieds sont munis de billes, et qui se meut sur un tableau où sont inscrites les lettres de l'alphabet, si la personne qui y pose l'extrémité des doigts est douée de médiumnité.


6 Voir Esprits et Médiums, p. 43 à 45.


7 On a pu lire les messages données par AlIan Kardec dans le Génie Celtique et le Monde invisible, dernier ouvrage de Léon Denis, publié après sa mort par les soins de M. Jean Meyer, héritier de son oeuvre. Tous messages obtenus sont la propriété de M. Gaston Luce, auquel le Maître a laissé bibliothèque et papiers.


8 L'esprit avait fait une erreur en donnant décembre au lieu de Janvier 1915 comme mois de l'assassinat, mais il avait été exact quant à la date de sa mort à Tours, 10 Juin 1916. Exact aussi en donnant le nom de la fermière, le nombre des enfants tués, les noms de la commune et du département.


9 Page 244.


10 Numéro de Juin 1921.


11 Le Génie Celtique et le Monde Invisible, p. 230.