IX
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1925 : le Congrès de Paris.

Léon Denis avait, en 1900, présidé le Congrès de Paris ; à cette époque, les spirites parisiens n'avaient pour centre de leurs réunions qu'une construction en planches, au fond d'une cour, rue du Faubourg Saint-Martin. Les spirites connurent fort heureusement, après la guerre, grâce à un Mécène : M. Jean Meyer, une organisation en rapport avec la grandeur et la puissance de leur doctrine. Le Maître ne connaissait rien de cette organisation matérielle. Durant la guerre et les années qui suivirent, sa cécité n'ayant fait que croître, il avait vécu à l'écart du monde, confiné en sa demeure.

L'annonce d'un congrès pour 1925 laissa Léon Denis rêveur, il hésitait à le juger opportun. La Fédération Spirite Internationale étant de fondation si récente, le Maître pensait qu'il eut été préférable de laisser ce grand organisme spiritualiste fonctionner pendant quelques années avant de songer à en grouper les membres en un congrès. Cependant il ne tarda pas à changer d'appréciation. La Revue Spirite consacrait chaque mois une de ses pages à la préparation de ce congrès. Nous en lisions avec intérêt les préliminaires que suivit le programme des travaux qui contenait la convocation du Comité d'organisation adressée aux congressistes. C'est avec une attention soutenue que l'écrivain écouta cette lecture, il fit souligner quelques passages qui lui parurent revêtir une particulière importance et se déclara très satisfait des sujets proposés dans le programme. M. Jean Meyer, à qui fut mandée l'appréciation favorable du Maître, lui exprima sa joie et insista pour qu'il prît part à ces grandes assises spiritualistes ; il lui demanda d'y vouloir bien représenter le Brésil et le Mexique. Dans sa réponse Léon Denis fit des réserves, invoquant son grand âge et son infirmité qui lui rendaient tout déplacement difficile.

Le Maître exposa la situation à ses guides dans une réunion intime et ceux-ci l'encouragèrent à accepter de participer au congrès, mais il leur objecta ce qu'il appelait "le fardeau de ses infirmités". "C'est présumer de mes forces d'aller à mon âge présider un congrès, leur dit-il ; Flammarion me remplacera bien". Léon Denis avait à peine prononcé ces mots qu'il fut interrompu par son médium qui, d'un ton ferme et net lui répondit : "Flammarion n'y sera pas." - "Comment ! Flammarion s'abstiendrait ?" reprit Léon Denis étonné. - "Non, il n'y sera pas !" Aucun mot ne fut ajouté, et les personnes présentes n'envisagèrent nullement la mort prochaine du célèbre astronome. Trois mois plus tard elle survenait. En l'apprenant le Maître glorifia devant nous l'éminent savant dont les ouvrages avaient merveilleusement vulgarisé une science aride, la mettant ainsi à la portée de toutes les intelligences.

Alors commença un labeur opiniâtre, paroles de bienvenue, allocution préalable à l'ouverture du congrès, réfutations possibles aux Métapsychistes, discours de clôture ; tout cela fut élaboré. Léon Denis dicta ensuite son travail : Histoire du développement du Spiritisme à Tours.

Le Maître était en parfaite santé ; avec son habituelle indépendance de caractère il procéda seul aux préparatifs de son voyage ; le vendredi 4 septembre, il partait pour Paris accompagné de Gaston Luce, devant, dès le lendemain, assister à la Maison des Spirites, 8, rue Copernic, à la réunion du Comité Général et à l'Assemblée Générale de la Fédération Spirite Internationale.

Les jours qui suivirent furent un enchantement. Subjugués par le charme de la parole du Maître dès la première séance plénière dans la salle des Sociétés Savantes, les spirites devaient, trois fois encore dans cette même salle, jouir de son talent prestigieux. L'orateur se surpassa, il conduisit les débats avec une jeunesse d'esprit, une facilité d'élocution remarquables. Son tact habituel, sa bonhomie et son urbanité charmèrent les assistants. Quelle majesté revêtait l'apôtre lorsque son beau geste de porteur de torche accompagnait ses vibrantes péroraisons ! L'enseignement que le vieillard synthétisait en sa parole n'était-il pas comme une vive lumière éclairant les délicates questions de l'expérimentation et de tout ce qui se rattache au spiritisme ? Les congressistes garderont toujours le souvenir de Léon Denis, très pâle, prononçant son magnifique discours de bienvenue devant les représentants spirites de vingt-deux nations.

"Nous vous saluons tous, dit-il, à quelque nation que vous apparteniez, au nom de nos croyances communes, au nom de la grande cause que nous servons. Il est probable, Mesdames et Messieurs, que beaucoup d'entre vous se rencontrent ici pour la première fois, et cependant nous vous sentons tous réunis par ces liens puissants, par ces liens spirituels qui unissent les âmes dans une foi sincère, en des aspirations ardentes, vers la vérité, vers la lumière ; et, n'est-ce pas là le lien par excellence, le lien indestructible qui rapproche les âmes comme les membres d'une même famille et qui, en même temps, unit la terre aux espaces ? Car nous savons tous qu'au-dessus de nos patries humaines, plus haut que nos différences de langues et de races, il y a la grande patrie éternelle, d'où nous sortons tous à la naissance, où nous retournons tous à la mort, pour nous retrouver dans cette patrie des âmes qui n'a pas de bornes, qui ne connaît pas de frontières, parce qu'elle est le champ immense de l'évolution de tous les êtres dans leur ascension lente et graduelle vers Dieu."

Le Maître définit ensuite le but et l'avenir du spiritisme. Ce développement fort long fut fréquemment interrompu par des applaudissements et coupé à plusieurs reprises par le traducteur anglais. Pas la moindre hésitation dans les périodes ; à la place de l'orateur combien de plus jeunes conférenciers eussent eu besoin de recourir à leur texte pour que le fil de leur discours ne fut point interrompu. A tous le Maître donnait l'impression de jouir de sa pleine maîtrise cérébrale.

Le 10 septembre, Léon Denis prononça le discours d'ouverture ; ce fut une belle allocution où était retracée l'histoire du spiritisme depuis cinquante ans avec ses tribulations nombreuses, mais aussi avec son superbe développement. Il termina en montrant aux spirites du monde entier quelle lourde responsabilité et quels grands devoirs leur incombent.

L'intervention de M. Valabrègue fournit au Maître l'occasion d'une magistrale improvisation. Le débat portait sur la liberté de conscience ; M. Valabrègue était parti en guerre après avoir entendu le discours de Léon Denis et le rapport très intéressant du Secrétaire général, M. Ripert. Il s'était écrié : "Moi, je n'adopte pas votre rapport parce qu'il ne proclame pas la liberté de conscience."

A ceci Léon Denis répliqua :

"Nous avons fait la révolution pour avoir la liberté de conscience, nos pères ont versé leur sang pour avoir la liberté de conscience ; je crois qu'elle existe et qu'elle rayonne sur la France entière. Après la lecture du rapport nous discuterons cette question qui me paraît d'ailleurs superflue parce que la liberté de conscience existe, elle est maintenue et contre elle rien ne pourra s'opposer ni se dresser."

Après différentes lectures et communications (celles du Docteur Maxwell, Procureur général à la Cour d'Appel de Bordeaux et de Sir Oliver Lodge), la parole fut rendue à M. Valabrègue. Il disserta longuement, fut éloquent, intéressant, mais la grande majorité de l'assemblée n'approuva pas sa diatribe qui faisait aux spirites le reproche d'orthodoxie et celui de n'avoir pas fait de l'amour la base et le principe essentiel de leur doctrine.

Nous ne perdions pas des yeux le Maître qui, un peu courbé sur la table écoutait attentivement son contradicteur, paraissant se replier sur lui-même comme le lutteur qui prépare ses forces avant de se mesurer avec son adversaire. Il se leva dès que M. Valabrègue eut terminé et, dans une magnifique improvisation :

"Mesdames, Messieurs, dit-il, permettez-moi de résumer ces débats en quelques mots. J'ai suivi avec attention les discours très éloquents et très spirituels de Valabrègue et, je me demande maintenant en quoi vraiment ses opinions diffèrent des nôtres. Je ne vois aucune différence, si ce n'est dans la façon de s'exprimer. Au fond, nous sommes parfaitement d'accord et, dans ce cas, pourquoi discuter ? Il nous a parlé du Christ, de son grand amour. Mais tous, nous admirons le Christ, et tous, nous nous prosternons avec respect devant cette grande figure qui domine les siècles. Et permettez-moi de rappeler que le Christ n'a pas seulement donné cet exemple magnifique de dévouement et de sacrifice, mais il a apporté aussi un enseignement ; c'était la raison de son incarnation sur la terre. Il est venu nous donner une connaissance de Dieu, de l'âme, de la destinée ; des principes, que malheureusement on n'applique plus dans toute leur beauté et toute leur grandeur. C'est précisément notre oeuvre à nous, de les faire revivre ; c'est pour cela que nous sommes réunis, que nous travaillons, que nous peinons, que nous souffrons depuis cinquante ans pour reconstituer et rendre à l'humanité l'enseignement du Christ. Car enfin, permettez-moi de vous le dire, vous avez prononcé le mot d'orthodoxie ; le spiritisme n'est pas une orthodoxie, dans le sens de doctrine fermée, de doctrine rigide, c'est tout simplement une présentation libre de la pensée, c'est une évolution, une étape vers la vérité intégrale, vers l'infini. Allan Kardec n'a-t-il pas dit que le spiritisme restait ouvert à tous les développements de l'avenir et, par conséquent à toutes les manifestations de la pensée et de la science ? Mais nous avons justifié ces paroles. Nous avons incorporé dans nos travaux, dans nos ouvrages, tous les progrès, tous les concepts de la science. Nous avons mieux fait que tout cela, nous lui avons indiqué le chemin, la route à suivre. C'est grâce à nous que les savants sont entrés dans la voie, dans l'étude du monde invisible, dans l'étude des forces invisibles ; c'est grâce à nos études et nos recherches, car, enfin, qui donc a parlé le premier, dans les temps modernes, de fluide, de médiumnité, de corps astral ? Ce sont les spirites. Actuellement encore tous les savants, tous les métapsychistes, ne font que marcher sur nos traces, et suivre la voie que nous parcourons depuis longtemps. Eh bien ! cher ami, permettez-moi de vous le dire, tous nos efforts convergent vers le but dont vous nous avez entretenus tout à l'heure.

Vous avez parlé des consolations à donner à l'humanité, à ceux qui souffrent, mais calculez donc toutes les épreuves, toutes les souffrances, toutes les douleurs que le spiritisme a consolées. Le spiritisme, ce n'est pas seulement un enseignement qui repose sur des bases certaines, c'est un critérium qui défie la contradiction ; le spiritisme, c'est l'enseignement du monde entier. On enseigne partout la réincarnation des principes d'amour, et c'est tout ce qui fait la base du spiritisme. Jamais aucune doctrine ne s'est appuyée sur un critérium aussi universel.

Ce sentiment d'amour dont vous parlez est la base même de l'enseignement spirite comme de l'enseignement chrétien.

Il n'est pas d'école, de doctrine, d'enseignement, quelle que soit sa forme qui n'ait ses principes. Nous avons, nous, des principes qui surpassent les autres, en ce sens qu'ils nous viennent d'En-Haut, de tous les points de la terre et qui concordent sur tous les points essentiels.

Dans cette réunion où toutes les nations sont représentées, les Anglo-Saxons avaient semblé se distinguer de nous sur certains points, mais la fusion qui s'opère - vous en avez l'attestation dans les ouvrages, dans les télégrammes, et dans les manifestations de la pensée - montre qu'une idée, grande, belle, sublime, s'élève au-dessus des contingences et fait rayonner sa puissance et sa beauté sur le Monde. Nous sommes tous d'accord ; nous ne différons que sur des termes et des expressions, et si Valabrègue veut bien réfléchir, il verra que nous sommes tous unis dans un même sentiment de fraternité, de concorde et d'union, et que nous marchons tous du même pas vers des horizons meilleurs, vers des jours plus beaux pour l'Humanité !"

A la séance du 11 septembre, le Docteur Viguier permit également au Maître de faire une belle improvisation en remarquant que les spirites ayant, dans l'exposé de leur doctrine, le principe de la croyance en Dieu ne font pas d'adeptes parmi les matérialistes. "Je suis d'avis, ajouta-t-il, que notre philosophie n'a aucun rapport avec la croyance ; ce qu'il faut surtout c'est intéresser les masses au spiritisme. J'estime que les principes de notre philosophie ne doivent apporter ni négation, ni affirmation concernant la divinité, ceci est du domaine de la foi, et il faut laisser sur ce point à chacun de nos adhérents la liberté de croyance la plus entière."

Léon Denis lui répondit :

"Nous envisageons la question de Dieu à un point de vue exclusivement scientifique ; l'idée de Dieu est absolument nécessaire pour nos manifestations. Il y a en France deux écoles psychiques. J'aurais voulu donner des détails sur la façon de procéder de ces deux écoles. Il y a les Kardécistes et les Métapsychistes. Les Kardécistes croient à l'existence des esprits, dont ils ont des preuves multiples, infaillibles et toujours plus nombreuses. Par l'expérimentation, ils savent qu'au-dessus de ce monde des esprits il y a un foyer supérieur - je ne lui donne pas de nom - un foyer d'où émanent et se répandent dans l'infini des courants de forces, et c'est à ce foyer éternel qui unit tous les êtres que les grands Esprits puisent les forces nécessaires pour se manifester et produire des phénomènes convaincants, dans une solidarité étroite, en vertu de lois universelles. C'est cette puissance bienfaisante et protectrice qui dirige nos séances expérimentales."

Le jour suivant Léon Denis eut une journée chargée, il prononça d'abord un magnifique discours sur la science métapsychique, dit ce qu'il attendait d'elle, ce qu'il lui reprochait aussi. Puis il eut encore à s'acquitter du discours de clôture qui lui valut une grande ovation :

"Nous allons nous séparer et peut-être ne nous reverrons-nous pas dans ce monde, mais nous nous reverrons certainement dans l'autre, et nous y travaillerons encore à servir la cause de la vérité et à répandre, chaque fois que nous le pourrons, les rayons du soleil levant qui s'appelle le spiritisme.

En terminant j'appelle sur vous les radiations de la force divine afin qu'elles vous pénètrent, viennent féconder vos âmes et fassent persister en vous le dévouement, le courage, l'abnégation qui vous aideront à affronter les difficultés de la vie, à triompher du scepticisme, du matérialisme, afin que vous répandiez par le monde la conviction qui est dans vos coeurs."

Les représentants des puissances étrangères aussi bien que les Français gardèrent de ces quelques jours passés dans l'intimité du Maître, dans le rayonnement de sa pensée, de son enseignement, une impression inoubliable. Tous, sans exception, sentirent que la doctrine qu'ils aimaient avait en Léon Denis un chef vénéré, qui, par sa grande foi, son éloquence persuasive et la lucidité de ses vues, était le digne continuateur d'Allan Kardec.

Le Congrès eut un côté démonstratif par la conférence avec projections que donna Sir Conan Doyle ; des milliers de Parisiens emplirent d'abord la salle des Sociétés Savantes, puis la salle Wagram, où fut donnée une deuxième conférence. On estima à deux milliers les personnes qui ne purent entrer dans cet immense vaisseau, qui en contiendrait aisément cinq mille. La presse s'émerveilla de ce succès et ne dissimula pas son étonnement de ce que Paris comptait tant de gens intéressés par le spiritisme. Elle convint que si Sir Arthur Conan Doyle eut décidé de donner une troisième conférence dans la salle du Trocadéro, cette salle immense eut été trop étroite pour contenir les auditeurs du fameux pionnier anglais. Léon Denis se réjouissait beaucoup de cet empressement de la foule autour de Sir Arthur Conan Doyle.

Le Congrès absorba exclusivement le Maître ; quand il n'était pas rue Copernic ou à la salle des Sociétés Savantes, il méditait dans sa chambre. Contrairement au Congrès de 1900 où il avait reçu beaucoup de monde, il désira vivre ignoré et cacha son adresse même à ses plus proches amis. Ce ne fut qu'à la fin de son séjour à Paris qu'un journaliste parvint à le dépister et put obtenir de lui une interview ; M. Esquier, de La Liberté, relatait le lendemain, en ces termes l'entretien qu'il avait eu avec le Maître du spiritualisme moderne :

Au moment où le congrès spirite vient de terminer ses travaux, il nous a semblé intéressant de recueillir de la bouche même de son président, M. Léon Denis, les conclusions que l'on doit dégager de cette assemblée internationale.

On sait que M. Léon Denis, grand apôtre du spiritisme et successeur d'Allan Kardec, a écrit de nombreux ouvrages sur les sciences métapsychiques et dont le plus remarquable "Après la Mort" est un livre de haute philosophie, traitant de la survie et de tout ce qui s'y rapporte.

L'éminent spirite a bien voulu nous recevoir ce matin.

C'est un vieillard de 80 ans, presque aveugle, à la barbe de neige et qui évoque, physiquement, le Moïse de Michel Ange et aussi Tolstoï. Infiniment courtois, il a bien voulu se prêter à nos questions et son ton, d'abord familier, s'éleva bientôt jusqu'à l'éloquence la plus passionnée et la plus persuasive :

"- Etes-vous satisfait, Maître, du résultat de ce Congrès ? demandons-nous.

"- Enchanté, son retentissement sera considérable... C'est une victoire nouvelle du spiritisme Kardéciste. Le temps n'est plus où l'on répondait aux affirmations des spirites par des sarcasmes. L'attention publique est attirée de ce côté. La discussion, la controverse courtoise ont remplacé la raillerie. On contestait la réalité des phénomènes, les métapsychistes ont fait, par des expériences de laboratoire, la démonstration qu'ils existent. Les affirmations d'un William Barrett, d'un Oliver Lodge, d'un Charles Richet, venant après celles des William Crookes ne se contestent pas. Beaucoup de savants en sont encore à demander des preuves, qu'ils se rassurent, ces preuves, ils les obtiendront, s'ils veulent bien étudier les forces inconnues avec la bonne volonté nécessaire, en tenant compte qu'ils ne sont plus en présence de forces mécaniques, mais de forces intelligentes.

"Le spiritisme prouve l'existence d'un monde invisible bien plus complexe encore que le monde matériel. Il prouve aussi l'immortalité de l'âme humaine et de la conscience individuelle et enfin l'évolution de l'âme à travers les vies successives qui la mènent vers la connaissance et la perfection.

"- Cette théorie n'est-elle pas celle de Pythagore ?

"- Oui... et de Jésus, car il enseigna la pluralité des vies, dans son entretien avec Nicodème et aussi lorsqu'il dit que Jean-Baptiste était la réincarnation d'Elie.

"- Mais ceci est contraire au dogme catholique.

"- Et pour cause ! L'Eglise qui visait, avant tout, à imposer son joug, a étouffé l'idée de Christ et enseigné la doctrine d'une vie unique avec menace de l'enfer, pour mettre aux mains du prêtre un puissant moyen de domination politique...

"- Est-il vrai que vous souhaitez voir enseigner le spiritisme dans les écoles ?

"- Je souhaite voir enseigner aux enfants la doctrine de la survie, pour remplacer le catéchisme, avec un horizon plus large... et leur donner une morale élevée. Mais il va de soi que nous ne leur montrerons ni fantômes, ni ectoplasmes, ni phénomènes troublants, qui ne peuvent être contrôlés que par des chercheurs supérieurement équilibrés, pondérés et "prudents" ; car à ces expériences peuvent se mêler de mauvais et dangereux esprits. Ceux qui soulèvent le voile du mystère doivent être capables d'en dégager ce qui est utile au bien de l'humanité.

"Au front de notre interlocuteur semblait rayonner l'auréole des apôtres.

"Nous le quittâmes profondément troublé."

CH. ESQUIER.

Le Maître ne quitta pas Paris dès la clôture du Congrès, il resta deux jours encore parmi ses amis parisiens heureux de le garder auprès d'eux ; il se montra gai, charmant, plein d'entrain. On le plaisantait sur ses habitudes qu'il avait dû abandonner.

M. Jean Meyer vint lui témoigner sa gratitude et sa joie de ce qu'il eut bien voulu présider le Congrès dont il avait été l'âme. Léon Denis très touché, rendit hommage à M. Meyer et à ses précieux collaborateurs qui avaient su assurer le succès du Congrès par une préparation méthodique et savante.

Le 15 septembre, Léon Denis rentrait à Tours ; nous le vîmes le lendemain et, comme avant son départ, nous fûmes frappée de son grand calme, il reprit aussitôt sa vie de travailleur et nul n'aurait pu supposer qu'un événement d'une importance capitale avait bouleversé sa vie pendant dix jours.

O merveilleux équilibre des sages que les vanités du monde ne troublent point et que seule captive la vie de l'esprit !

*

* *

Ce Congrès eut une profonde répercussion dans la presse. Un reporter alla successivement interroger le Cardinal Dubois et le Pasteur Roberty. L'Eglise catholique est consciente de l'état d'esprit moderne et ses orateurs ne craignent pas de parler de l'inquiétude humaine. Le cardinal très informé des travaux du Congrès spirite prétendit naturellement que l'Evangile seul peut répondre aux deux questions que de tout temps se sont posées les hommes : Que sommes-nous ? Où allons-nous ? et termina par ce conseil adressé aux spirites :

"Vous avez voulu vous arracher des misères de cette terre, vous avez fait effort vers un idéal ; cet effort poursuivez-le, alors le Christ parlera dans votre âme pour vous révéler la vérité."

Le pasteur Roberty, un des ministres les plus éminents du protestantisme, président du consistoire de l'Eglise réformée, aussi averti que le cardinal Dubois des choses du spiritisme, fit cette déclaration :

"Le spiritisme est une science qu'il est loisible d'étudier ; ce que je reproche aux spirites c'est de mêler le sentiment religieux à leurs pratiques. Qu'ils étudient certains phénomènes physiques encore mal connus, je ne les en blâme pas, leur erreur est de vouloir créer une sorte de religion rationnelle."

Contrairement au Cardinal Dubois, il confessa que l'Evangile n'explique pas tout, mais le croyant, ajouta-t-il, n'a pas besoin de démonstration.

Et comme le journaliste lui posait cette question : "Déconseillez-vous la pratique du spiritisme à vos coreligionnaires ?" il répondit :

"Ils peuvent le faire, sous les réserves que j'ai indiquées."

Le Maître fut fort intéressé par la lecture de ces interviews. L'avis de deux hautes personnalités des clergés catholique et protestant était loin de lui être indifférent et il ne manqua point d'apprécier la largeur et l'indépendance de leurs vues.

Léon Denis était devenu moins combatif vers la fin de son apostolat, il n'était plus le "vieux spirite" de la brochure publiée jadis et intitulée : Réponse d'un vieux spirite à un Docteur ès-lettres de Lyon. Assistant depuis cinquante ans aux controverses parfois haineuses entre catholiques et spirites, il laissait les jeunes répondre aux polémiques et disait : "Mieux vaut la lutte par la critique que la conspiration du silence, cela nous fait connaître. La vérité niée par les uns, se propage par les autres, rien ne pourra agir contre elle puisque les puissances d'En Haut mènent le combat."

Comme tous les vieillards, Léon Denis était réfractaire à l'objectif des photographes. Avant le Congrès, les amis et admirateurs du Maître possédaient de lui seulement deux photographies : l'une ancienne, faite à Lyon, revêtue de sa signature, le représente dans sa maturité ; l'autre, plus récente, obtenue par l'amabilité de M. et Mme J. Mélon, spirites parisiens qui voyaient le Maître lorsqu'ils étaient en villégiature à Vouvray. Celui-ci avait bien voulu céder à leurs instances et posa, éclairé par un rayon de soleil, devant la fenêtre de sa chambre. Sa physionomie est imprégnée d'une bonhomie souriante, "puisque vous le voulez, comment vous refuser !" semble-t-il dire aux aimables amateurs.

Le Congrès devait nous procurer un nouveau portrait de l'apôtre. Cette photographie a été donnée dans le numéro de la Revue Spirite de novembre 1925 et reproduite dans le numéro de mai au moment du décès du Maître. Un fort bel agrandissement du buste en a été fait pour le livre du Rapport du Congrès. La tête énergique a quelque chose de sculptural et, en admirant le grand et beau front du penseur on déplore que Léon Denis n'ait pas accédé au désir d'un sculpteur parisien, M. Henri Bouillon, qui, dans une lettre très aimable, datée du 2 décembre 1909, lui proposait de modeler ses traits dans la cire. Il s'exprimait en ces termes : "Je désire beaucoup matérialiser dans un buste, le visage qui n'est que la frêle enveloppe d'un pur et haut esprit, mais je n'osais vous demander cet honneur et vous m'en donnez le courage en m'ayant fait une bien agréable surprise par l'envoi de votre Jeanne d'Arc Médium."