IX. - EVOLUTION ET FINALITE DE L'AME.

L'âme, avons-nous dit, vient de Dieu ; c'est le principe de l'intelligence et de la vie en nous. Essence mystérieuse, elle échappe à l'analyse, comme tout ce qui émane de l'absolu. Créée par amour, créée pour aimer, si chétive qu'elle peut être enfermée dans une forme restreinte et fragile, si grande que, d'un élan de sa pensée, elle embrasse l'infini, l'âme est une parcelle de l'essence divine projetée dans le monde matériel.

Depuis l'heure de sa descente dans la matière, quel chemin a-t-elle suivi pour remonter jusqu'au point actuel de sa course ?

Il lui a fallu passer par des voies obscures, revêtir des formes, animer des organismes qu'elle rejetait à l'issue de chaque existence, comme on le fait d'un manteau devenu inutile. Tous ces corps de chair ont péri ; le souffle des destins en a dispersé la poussière ; mais l'âme persiste et demeure, en sa pérennité ; elle poursuit sa marche ascendante, parcourt les stations innombrables de son voyage et va vers un but grand et désirable, un but divin, qui est la perfection.

L'âme contient, à l'état virtuel, tous les germes de ses développements futurs. Elle est destinée à tout connaître, à tout acquérir, à tout posséder. Et comment y parviendrait-elle en une seule existence ? La vie est courte et la perfection est loin ! L'âme pourrait-elle, en une vie unique, développer son entendement, éclairer sa raison, fortifier sa conscience, s'assimiler tous les éléments de la sagesse, de la sainteté, du génie ? Non ! Pour réaliser ses fins, il lui faut, dans le temps et dans l'espace, un champ sans bornes à parcourir. C'est par des transformations sans nombre, après des milliers de siècles, que le minéral grossier se change en un pur diamant, étincelant de mille feux. Il en est ainsi de l'âme humaine.

Le but de l'évolution, la raison d'être de la vie n'est pas le bonheur terrestre - comme beaucoup le croient par erreur - mais bien le perfectionnement de chacun de nous, et ce perfectionnement, nous devons le réaliser par le travail, par l'effort, par toutes les alternatives de la joie et de la douleur, jusqu'à ce que nous soyons entièrement développés et élevés à l'état céleste. S'il y a sur la terre moins de joie que de souffrance, c'est que celle-ci est l'instrument par excellence de l'éducation et du progrès, un stimulant pour l'être, qui, sans elle, s'attarderait dans les voies de la sensualité. La douleur, physique et morale, forme notre expérience. La sagesse en est le prix.

Peu à peu l'âme s'élève, et, à mesure qu'elle monte, s'accumule en elle une somme toujours croissante de savoir et de vertu ; elle se sent reliée plus étroitement à ses semblables ; elle communie plus intimement avec son milieu social et planétaire. S'élevant de plus en plus, elle se rattache bientôt par des liens puissants aux sociétés de l'espace, puis à l'Etre universel.

Ainsi la vie de l'être conscient est une vie de solidarité et de liberté. Libre dans la limite que lui assignent les lois éternelles, il devient l'architecte de sa destinée. Son avancement est son oeuvre. Aucune fatalité ne l'opprime, si ce n'est celle de ses propres actes, dont les conséquences retombent sur lui. Mais il ne peut se développer et grandir que dans la vie collective, avec le concours de chacun et au profit de tous. Plus il monte, plus il se sent vivre et souffrir en tous et pour tous. Dans son besoin d'élévation propre, il attire à lui, pour les faire parvenir à l'état spirituel, tous les êtres humains qui peuplent les mondes où il a vécu. Il veut faire pour eux ce qu'ont fait pour lui ses frères aînés, les grands Esprits qui l'ont guidé dans sa marche.

La loi de justice veut que toutes les âmes soient émancipées à leur tour, affranchies de la vie inférieure. Chaque être parvenu à la pleine conscience doit travailler à préparer à ses frères une vie supportable, un état social ne comportant que la somme des maux inévitables. Ces maux, nécessaires au fonctionnement de la loi d'éducation générale, ne seront jamais complètement supprimés sur notre monde. Ils représentent une des conditions de la vie terrestre. La matière est l'utile obstacle ; elle provoque l'effort et développe la volonté, elle contribue à l'ascension des êtres, en leur imposant des besoins qui les contraignent au travail. Et comment sans la peine connaître la joie ; comment sans l'ombre apprécier la lumière ; comment sans la privation goûter le bien acquis, la satisfaction obtenue ? Voilà pourquoi les difficultés se retrouvent sous toutes les formes, en nous et autour de nous.

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C'est un grand spectacle que la lutte de l'esprit contre la matière, lutte pour la conquête du globe, lutte contre les éléments, les fléaux, contre la misère, la douleur et la mort. Partout la matière s'oppose à la manifestation de la pensée. Dans le domaine de l'art, c'est la pierre qui résiste au ciseau du sculpteur. Dans la science, c'est l'insaisissable, l'infiniment petit qui se dérobe à l'observation. Dans l'ordre social comme dans l'ordre privé, ce sont les obstacles sans nombre, les besoins, les épidémies, les catastrophes !

Et cependant, en face des puissances aveugles qui le pressent et le menacent de toutes parts, l'homme s'est dressé, être fragile ; pour toute ressource il n'a que sa volonté. Et à l'aide de cette ressource unique, à travers les temps, l'âpre lutte s'est poursuivie, sans trêve, sans merci. Puis, un jour, par la volonté humaine, la puissance formidable a été vaincue, asservie. L'homme a voulu et la matière s'est soumise. A son geste, les éléments ennemis, l'eau et le feu, se sont unis en grondant et ont travaillé pour lui.

C'est la loi de l'effort, loi suprême, par laquelle l'être s'affirme, triomphe et grandit. C'est la magnifique épopée de l'Histoire, la lutte extérieure qui remplit le monde. La lutte intérieure n'est pas moins émouvante. A chacune de ses renaissances, l'esprit devra façonner, assouplir la nouvelle enveloppe matérielle qui va lui servir de demeure, en faire un instrument capable de rendre, d'exprimer les conceptions de son génie. Trop souvent, l'instrument résiste et la pensée, découragée, se replie sur elle-même, impuissante à affiner, à soulever ce lourd fardeau qui l'étouffe et l'annihile. Pourtant, par l'effort accumulé, par la persistance des pensées et des désirs, malgré les déceptions, les défaites, à travers les existences renouvelées, l'âme réussit à développer ses hautes facultés.

Il est en nous une sourde aspiration, une énergie intime, mystérieuse, qui nous porte vers les sommets, nous fait tendre vers des destinées toujours plus hautes, nous pousse en avant vers le beau et le bien. C'est la loi du progrès, l'évolution éternelle qui guide l'humanité à travers les âges et aiguillonne chacun de nous. Car l'humanité, ce sont les mêmes âmes ; elles reviennent de siècle en siècle, pour suivre, à l'aide de nouveaux corps, et jusqu'à ce qu'elles soient mûres pour les mondes meilleurs, leur oeuvre de perfectionnement. L'histoire d'une âme ne diffère guère de celle de l'humanité ; l'échelle seule diffère, l'échelle des proportions.

L'esprit moule la matière. Il lui communique la vie et la beauté. Aussi l'évolution est-elle, par excellence, une loi d'esthétique. Les formes acquises sont le point de départ de formes plus belles. Tout se relie. La veille prépare le lendemain ; le passé enfante l'avenir. L'oeuvre humaine, reflet de l'oeuvre divine, s'épanouit en formes de plus en plus parfaites.

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La loi du progrès ne s'applique pas seulement à l'homme. Elle est universelle. Il y a dans tous les règnes de la nature une évolution qui a été reconnue par les penseurs de tous les temps. Depuis la cellule verte, depuis le vague embryon flottant sur les eaux, à travers des séries variées, la chaîne des espèces s'est déroulée jusqu'à nous.

Sur cette chaîne, chaque anneau représente une forme de l'existence qui conduit à une forme supérieure, à un organisme plus riche, mieux adapté aux besoins, aux manifestations grandissantes de la vie. Mais sur l'échelle d'évolution, la pensée, la conscience, la liberté n'apparaissent qu'après bien des degrés. Dans la plante, l'intelligence sommeille ; dans l'animal, elle rêve ; dans l'homme seulement, elle s'éveille, se connaît, se possède et devient consciente. Dès lors, le progrès fatal en quelque sorte dans les formes inférieures de la nature, le progrès ne peut plus se réaliser que par l'accord de la volonté humaine avec les lois éternelles.

C'est par cet accord, par cette union de la raison humaine avec la raison divine, que s'édifient les oeuvres préparatrices du règne de Dieu, c'est-à-dire du règne de la Sagesse, de la Justice, de la Bonté, dont tout être raisonnable et conscient porte en lui l'intuition.

Ainsi, l'étude des lois de l'évolution, loin d'infirmer la spiritualité de l'homme, vient, au contraire, lui donner une nouvelle sanction. Elle nous apprend comment notre corps peut dériver d'une forme inférieure par la sélection naturelle, mais elle nous montre aussi que nous possédons des facultés intellectuelles et morales d'une origine différente, et cette origine, nous la trouvons dans l'Univers invisible, dans le monde sublime de l'Esprit.

La théorie de l'évolution doit être complétée par celle de la percussion, c'est-à-dire par l'action des puissances invisibles, qui dirigent, stimulent cette lente et prodigieuse marche ascensionnelle de la vie sur le globe. Le monde occulte intervient, à certaines époques, dans le développement physique de l'humanité, comme il intervient dans le domaine intellectuel et moral, par la révélation médianimique. Lorsqu'une race ayant atteint son apogée est suivie d'une race nouvelle, il est rationnel de croire qu'une famille supérieure d'âmes s'incarne parmi les représentants de la race épuisée, pour la faire monter d'un degré en la renouvelant et en la façonnant à son image. C'est l'éternel hymen du ciel et de la terre, l'intime pénétration de la matière par l'esprit, l'effusion grandissante de la vie psychique dans la forme en cours d'évolution.

L'apparition des hommes sur l'échelle des êtres peut s'expliquer ainsi. L'embryogénie nous le démontre : l'homme est la synthèse de toutes les formes vivantes qui l'ont précédé, le dernier anneau de cette longue chaîne de vies inférieures qui se déroule à travers les temps. Mais c'est là seulement l'aspect extérieur du problème des origines ; l'aspect intérieur est autrement ample et imposant. De même que chaque naissance s'explique par la descente dans la chair d'une âme venue de l'espace, ainsi la première apparition de l'homme sur la planète doit être attribuée à une intervention des puissances invisibles qui génèrent la vie. L'essence psychique vient communiquer aux formes animales évoluées le souffle d'une vie nouvelle. Elle va créer, pour la manifestation de l'intelligence, un organe jusqu'alors inconnu : la parole. Elément puissant de toute vie sociale, le verbe apparaîtra et, en même temps, par son enveloppe fluidique, l'âme incarnée conservera la possibilité d'entrer en rapports avec le milieu d'où elle est sortie1.

L'évolution des mondes et des âmes est réglée par la volonté divine, qui pénètre et dirige la nature entière. Mais l'évolution physique n'est que la préparation de l'évolution psychique, et l'ascension des âmes se poursuit bien au-delà de la chaîne des mondes matériels.

Ce qui domine dans les basses régions de la vie, c'est la lutte ardente, le combat, sans trêve de tous contre tous, la guerre perpétuelle dans laquelle chaque être fait effort pour conquérir une place au soleil, presque toujours au détriment des autres. Cette mêlée furieuse entraîne et décime tous les êtres inférieurs dans ses tourbillons. Notre globe est comme une arène où se livrent d'incessantes batailles.

La Nature renouvelle sans cesse ces armées de combattants. Dans sa fécondité prodigieuse, elle enfante de nouveaux êtres ; mais aussitôt, la mort fauche dans leurs rangs pressés. Cette lutte, effrayante à première vue, est nécessaire au développement du principe de vie. Elle dure jusqu'au jour où un rayon d'intelligence vient illuminer les consciences endormies. C'est par la lutte que se trempe et s'affirme la volonté ; c'est de la douleur que naît la sensibilité.

L'évolution matérielle, la destruction des organismes n'est que temporaire : elle représente la phase primaire de l'épopée de la vie. Les réalités impérissables sont dans l'esprit. Lui seul survit à ces conflits. Toutes ces enveloppes éphémères ne sont que des vêtements venant s'adapter à sa forme fluidique permanente. Comme des costumes, il les revêt pour jouer les nombreux actes du drame de l'évolution sur la grande scène de l'Univers.

Emerger, degré à degré, de l'abîme de vie pour devenir esprit, génie supérieur, et cela par ses propres mérites et ses efforts ; conquérir son avenir, heure après heure ; se dégager un peu plus tous les jours de la gangue des passions s'affranchir des suggestions de l'égoïsme, de la paresse, du découragement ; se racheter peu à peu de ses faiblesses, de son ignorance, en aidant ses semblables à se racheter à leur tour, en entraînant tout le milieu humain vers un état plus élevé : voilà le rôle assigné à chaque âme. Et ce rôle, elle a, pour le remplir, toute la suite des existences innombrables qui lui sont dévolues sur l'échelle magnifique des mondes.

Tout ce qui vient de la matière est instable : tout passe, tout fuit. Les montagnes s'affaissent peu à peu sous l'action des éléments ; les plus grandes cités se changent en ruines ; les astres s'allument, resplendissent, puis s'éteignent et meurent ; seule, l'âme impérissable plane dans l'éternelle durée.

Le cercle des choses terrestres nous enserre et limite nos perceptions ; mais quand la pensée se détache des formes changeantes et embrasse l'étendue des temps, elle voit le passé et le futur se rejoindre, frémir et vivre dans le présent. Le chant de gloire, l'hymne de la vie infinie remplit les espaces ; il monte du sein des ruines et des tombes ; sur les débris des civilisations mortes s'élancent des floraisons nouvelles. L'union se fait entre les deux humanités, visible et invisible ; entre ceux qui peuplent la terre et ceux qui parcourent l'espace. Leurs voix s'appellent, se répondent, et ces bruits, ces murmures, encore vagues et confus pour beaucoup, deviennent pour nous le message, la parole vibrante, qui affirme la communion d'amour universel.

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Tel est le caractère complexe de l'être humain - esprit, force et matière - en qui se résument tous les éléments constitutifs, toutes les puissances de l'Univers. Tout ce qui est en nous est dans l'Univers, et tout ce qui est dans l'Univers se retrouve en nous. Par son corps fluidique et son corps matériel, l'homme se trouve lié à l'immense réseau de la vie universelle ; par son âme, à tous les mondes invisibles et divins. Nous sommes faits d'ombre et de lumière. Nous sommes la chair avec toutes ses faiblesses et l'esprit avec ses richesses latentes, ses espérances radieuses, ses magnifiques envolées. Et ce qui est en nous se retrouve dans tous les êtres. Chaque âme humaine est une projection du grand foyer éternel. C'est là ce qui consacre et assure la fraternité des hommes. Nous avons en nous les instincts de la bête, plus ou moins comprimés par le long travail et les épreuves des existences passées, et nous avons aussi la chrysalide de l'ange, de l'être radieux et pur que nous pouvons devenir par l'entraînement moral, les aspirations du coeur et le sacrifice constant du moi. Nous touchons par les pieds aux profondeurs obscures de l'abîme et par le front aux altitudes éblouissantes du ciel, à l'empire glorieux des Esprits.

Quand nous prêtons l'oreille à ce qui se passe au fond de notre être, nous entendons comme le bruissement d'eaux cachées et tumultueuses, comme le flux et le reflux de cette mer houleuse de la personnalité que soulèvent les souffles de la colère, de l'égoïsme et de l'orgueil. Ce sont les voix de la matière, les appels des basses régions qui nous attirent et influencent encore nos actions. Mais ces influences, nous pouvons les dominer par la volonté ; ces voix, nous pouvons leur imposer silence, et, lorsque le calme s'est fait en nous, lorsque le murmure des passions s'est apaisé, alors s'élève la voix puissante de l'Esprit infini, le cantique de la vie éternelle, dont l'harmonie emplit l'immensité.

Et plus l'esprit s'élève, se purifie et s'éclaire, plus son organisme fluidique devient accessible aux vibrations, aux voix, aux souffles d'en haut. L'Esprit divin, qui anime l'Univers, agit sur toutes les âmes ; il cherche à les pénétrer, à les éclairer, à les féconder ; cependant la plupart restent obscures et fermées ; trop grossières encore, elles ne peuvent ressentir son influence ni entendre ses appels. Souvent, il les entoure, les enveloppe, cherche à atteindre les couches profondes de leurs consciences, à les éveiller à la vie spirituelle. Beaucoup résistent à cette action, car l'âme est libre. D'autres ne la ressentent qu'aux moments solennels de la vie, dans les grandes épreuves, aux heures désolées où elles éprouvent le besoin d'un secours d'en haut et l'appellent. Pour vivre de la vie supérieure à laquelle ces influences nous convient, il faut avoir connu la souffrance, pratiqué l'abnégation, avoir renoncé aux joies matérielles, allumé et entretenu en soi cette flamme, cette illumination intérieure qui ne s'éteint jamais et dont les reflets éclairent, dès ce monde, les perspectives de l'Au-delà. De multiples et pénibles existences planétaires nous préparent à cette vie.

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Ainsi se dévoile le mystère de Psyché, l'âme humaine, fille du ciel, enfermée pour un temps dans la chair et qui remonte vers sa patrie d'origine à travers des milliers de morts et de renaissances.

La tâche est rude, les pentes à gravir, escarpées ; l'effrayante spirale à parcourir se déroule sans terme apparent ; mais nos forces sont sans limites, car nous pouvons les renouveler sans cesse par la volonté et la communion universelle.

Et puis, nous ne sommes pas seuls pour effectuer ce grand voyage. Non seulement nous rejoignons, tôt ou tard, les êtres aimés, les compagnons de nos vies passées, ceux qui partagèrent nos joies et nos peines ; mais d'autres grands Etres qui furent, eux aussi, des hommes et qui sont maintenant des Esprits célestes, se tiennent à nos côtés, aux passages difficiles. Ceux qui nous ont dépassés dans la voie sacrée ne se désintéressent pas de notre sort, et quand la tourmente sévit sur notre route, leurs mains secourables soutiennent notre marche.

Lentement, douloureusement, nous mûrissons pour des tâches de plus en plus hautes ; nous participons plus complètement à l'exécution d'un plan dont la majesté remplit d'une admiration émue celui qui en entrevoit les lignes imposantes. A mesure que notre ascension s'accentue, de plus grandes révélations nous sont faites, de nouvelles formes d'activité, de nouveaux sens psychiques naissent en nous, des choses plus sublimes nous apparaissent. L'univers fluidique s'ouvre toujours plus vaste à notre essor ; il devient une source intarissable de joies spirituelles.

Puis vient l'heure où, après ses pérégrinations à travers les mondes, l'âme, des régions de la vie supérieure, contemple l'ensemble de ses existences, le long cortège des souffrances subies. Elle le comprend enfin : ces souffrances sont le prix de son bonheur, ces épreuves n'ont enfanté que son bien. Et alors, son rôle change. De protégée, elle devient protectrice. Elle enveloppe de son influence ceux qui luttent encore sur les terres de l'espace ; elle leur souffle les conseils de sa propre expérience ; elle les soutient dans la voie ardue, dans les rudes sentiers par elle-même parcourus.

L'âme parviendra-t-elle jamais au terme de son voyage ? En avançant dans la voie tracée, elle voit toujours s'ouvrir de nouveaux champs d'études et de découvertes. Semblables au courant d'un fleuve, les ondes de la science suprême descendent vers elle en un flot toujours plus puissant. Elle arrive à pénétrer la sainte harmonie des choses, à comprendre qu'aucune discordance, aucune contradiction n'existe dans l'univers, que partout règnent l'ordre, la sagesse, la prévoyance. Et sa confiance, son enthousiasme augmentent encore ; avec un plus grand amour de la Puissance suprême, elle goûte d'une manière plus intense les félicités de la vie bienheureuse.

Dès lors, elle est étroitement associée à l'oeuvre divine ; elle est mûre pour remplir les missions dévolues aux âmes supérieures, à cette hiérarchie d'Esprits qui, à des titres divers, gouvernent et animent le Cosmos. Car ces âmes sont les agents de Dieu dans l'oeuvre éternelle de la Création. Elles sont les livres merveilleux sur lesquels il a écrit ses plus beaux mystères. Elles sont comme les courants qui vont porter aux terres de l'espace les forces et les radiations de l'Ame infinie.

Dieu connaît toutes les âmes qu'il a formées de sa pensée et de son amour. Il sait quel grand parti il en tirera plus tard pour la réalisation de ses vues. D'abord, il les laisse parcourir lentement la voie sinueuse, gravir les sombres défilés des vies terrestres, accumuler peu à peu en elles ces trésors de patience, de vertu, de savoir qu'on acquiert à l'école de la souffrance. Puis, un jour, attendries sous les pluies et les rafales de l'adversité, mûries par les rayons du soleil divin, elles sortent de l'ombre des temps, de l'obscurité des vies innombrables, et voilà que leurs facultés s'épanouissent en gerbes éblouissantes ; leur intelligence se révèle en des oeuvres qui sont comme un reflet du génie divin.


1 Quelle que soit la théorie à laquelle on donne la préférence en ces matières, que l'on adopte les vues de Darwin, de Spencer ou d'Haeckel, on ne peut se résoudre à croire que la Nature, que Dieu, n'ait qu'un seul et unique moyen de produire et de développer la vie. Le cerveau humain est borné. Les possibilités de la vie sont infinies. Les pauvres théoriciens qui veulent enfermer toute la science biologique dans les étroites limites d'un système, nous rappellent toujours le petit enfant de la légende qui creusait un trou dans le sable de la plage et voulait y verser toute l'eau de l'océan.
Le professeur Ch. Richet l'a déclaré lui-même dans sa réponse à Sully-Prudhomme : «Les théories de la sélection sont insuffisantes.» Et nous ajouterons : «S'il y a unité de plan, il doit y avoir diversité dans les moyens d'exécution. Dieu est le grand artiste qui, des contrastes, sait faire jaillir l'harmonie. Il semble qu'il y ait dans l'Univers deux immenses chaînes de vie : l'une monte de l'abîme par l'animalité ; l'autre descend des hauteurs divines ; elles se rejoignent pour s'unir, se confondre et s'entraîner. N'est-ce pas ce que signifie l'échelle du songe de Jacob ?