XVI. - LES VIES SUCCESSIVES. - OBJECTIONS ET CRITIQUES.

Nous avons répondu aux objections que fait naître tout d'abord dans la pensée l'oubli des vies antérieures. Il nous reste à en réfuter d'autres, d'un caractère soit philosophique, soit religieux, que les représentants des Eglises opposent volontiers à la doctrine des réincarnations.

En premier lieu, nous dit-on, cette doctrine est insuffisante au point de vue moral. En ouvrant à l'homme d'aussi vastes perspectives sur l'avenir, en lui laissant la possibilité de tout réparer dans ses existences futures, elle l'encourage au vice et à l'indolence ; elle n'offre pas un stimulant assez puissant et assez actuel pour la pratique du bien ; pour toutes ces raisons, elle est moins efficace que la crainte d'un châtiment éternel après la mort.

Nous l'avons vu : la théorie des peines éternelles n'est, dans la pensée même de l'Église1, qu'un épouvantail destiné à effrayer les méchants. Mais la menace de l'enfer, la crainte des supplices, efficace aux temps de foi aveugle, ne retient plus personne aujourd'hui. Elle est, au fond, une impiété envers Dieu, dont elle fait un Etre cruel, punissant sans nécessité et sans but d'amélioration.

A sa place, la doctrine des réincarnations nous montre la véritable loi de nos destinées et, avec elle, la réalisation du progrès et de la justice dans l'Univers. En nous faisant connaître les causes antérieures de nos maux, elle met fin à cette conception inique du péché originel, d'après laquelle toute la descendance d'Adam, c'est-à-dire l'humanité entière, porterait la peine des défaillances du premier homme. C'est pourquoi son influence morale sera plus profonde que celle des fables enfantines de l'enfer et du paradis. Elle opposera un frein aux passions, en nous montrant les conséquences de nos actes rejaillissant sur notre vie présente et sur nos vies futures, y semant des germes de douleur ou de félicité. En nous apprenant que l'âme est d'autant plus malheureuse qu'elle est plus imparfaite et plus coupable, elle stimulera nos efforts vers le bien. Il est vrai que cette doctrine est inflexible, mais du moins elle sait proportionner le châtiment à la faute, et, après la réparation, elle nous parle de relèvement et d'espérance. Tandis que le croyant orthodoxe, imbu de l'idée que la confession et l'absolution effacent ses péchés, se berce d'un vain espoir et se prépare des déceptions dans l'Au-delà, l'homme éclairé des clartés nouvelles apprend à rectifier sa conduite, à se tenir sur ses gardes, à préparer soigneusement l'avenir.

Une autre objection consiste à dire : Si nous sommes convaincus que nos maux sont mérités, qu'ils sont une conséquence de la loi de justice, une telle croyance aura pour effet d'éteindre en nous toute pitié, toute compassion pour les souffrances d'autrui ; nous nous sentirons moins portés à secourir, à consoler nos semblables ; nous laisserons un libre cours à leurs épreuves, puisqu'elles doivent être pour eux une expiation nécessaire et un moyen d'avancement. Cette objection n'est que spécieuse ; elle émane d'une source intéressée.

Considérons d'abord la question au point de vue social ; nous l'envisagerons ensuite dans le sens individuel. Le spiritualisme moderne nous enseigne que les hommes sont solidaires les uns des autres, unis par un sort commun. Les imperfections sociales dont nous souffrons tous, plus ou moins, sont le résultat de nos errements collectifs dans le passé. Chacun de nous porte sa part de responsabilité et a le devoir de travailler à l'amélioration du sort général. L'éducation des âmes humaines les oblige à tour de rôle à occuper des situations diverses. Toutes doivent alternativement subir l'épreuve de la richesse et celle de la pauvreté, de l'infortune, de la maladie, de la douleur.

Devant les misères de ce monde qui ne l'atteignent pas, l'égoïste se désintéresse et dit : Après moi le déluge ! Il croit échapper par la mort à l'action des lois terrestres et aux convulsions des sociétés. Avec la réincarnation, le point de vue change. Il faudra revenir encore et subir les maux que nous comptions léguer aux autres. Toutes les passions, toutes les iniquités que nous aurons tolérées, encouragées, entretenues, soit par faiblesse, soit par intérêt, se redresseront contre nous. Ce milieu social, pour l'amélioration duquel nous n'aurons rien fait, nous ressaisira de toute la force de son étreinte. Qui a écrasé, exploité les autres, sera exploité, écrasé à son tour. Qui a semé la division, la haine, en subira les effets. L'orgueilleux sera méprisé et le spoliateur dépouillé. Celui qui a fait souffrir souffrira. Si vous voulez assurer votre propre avenir, travaillez donc dès maintenant à perfectionner, à rendre meilleur le milieu où vous devez renaître ; songez à vous améliorer vous-mêmes. Voilà pour les misères collectives qui doivent être vaincues par l'effort de tous. Celui qui, pouvant aider ses semblables, néglige de le faire, manque à la loi de solidarité.

Quant aux maux individuels, nous dirons, en nous plaçant à un autre point de vue : Nous ne sommes pas juges de la mesure précise où commence et où finit l'expiation. Savons-nous même dans quels cas il y a expiation ? Beaucoup d'âmes, sans être coupables, mais avides de progresser, demandent une vie d'épreuves pour évoluer plus rapidement. L'aide que nous devons à ces âmes peut être une des conditions de leur destinée comme de la nôtre, et il est possible que nous soyons placés à dessein sur leur chemin, pour les soulager, les éclairer, les réconforter. Tout bien, tout mal accompli revenant vers sa source avec ses effets, c'est toujours un mauvais calcul de notre part que de négliger la moindre occasion de nous rendre utiles et serviables.

«Hors la charité point de salut», a dit Allan Kardec. C'est là le précepte par excellence de la morale spirite. Partout où la souffrance s'éveille, elle doit rencontrer des coeurs compatissants, prêts à secourir et à consoler. La charité est la plus belle des vertus ; elle seule ouvre l'accès des mondes heureux.

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Beaucoup de personnes pour qui la vie a été rude et difficile s'épouvantent à la perspective de la renouveler indéfiniment. Cette longue et pénible ascension à travers les temps et parmi les mondes remplit d'effroi ceux qui, pris de lassitude, escomptent un repos immédiat et un bonheur sans fin. Il est certain qu'il faut avoir l'âme trempée pour contempler sans vertige ces perspectives immenses. La conception catholique était plus séduisante pour les âmes timides, pour les esprits paresseux qui, d'après elle, avaient peu d'efforts à faire pour gagner le salut. La vision de la destinée est formidable. Il faut des esprits vigoureux pour la considérer sans faiblir, pour retrouver dans la notion du destin le stimulant nécessaire, la compensation aux petites habitudes confessionnelles, le calme et la sérénité de la pensée.

Un bonheur qu'il faut conquérir au prix de tant d'efforts effraye plus qu'il n'attire les âmes humaines, encore faibles pour la plupart, et inconscientes de leur magnifique avenir. Mais la vérité doit passer avant tout ! Il ne peut être question ici de nos convenances personnelles. La loi, qu'elle plaise ou non, est la loi ! C'est à nous d'y adapter nos vues et nos actes, et non à elle à se plier à nos exigences.

La mort ne peut transformer un esprit inférieur en esprit élevé. Nous sommes, dans l'Au-delà comme ici-bas, ce que nous nous sommes faits, intellectuellement et moralement. Toutes les manifestations spirites le démontrent. Cependant, on nous dit que, seules, les âmes parfaites pénétreront aux célestes royaumes, et, d'autre part, on resserre nos moyens de perfectionnement dans le cercle d'une vie éphémère. Peut-on vaincre ses passions, redresser son caractère au cours d'une seule vie ? Si quelques-uns y ont réussi, que penser de la foule des êtres ignorants et vicieux qui peuplent notre planète ? Est-il admissible que leur évolution se borne à ce court passage sur la terre ? Et ceux qui se sont rendus coupables de grands crimes, où trouveront-ils les conditions nécessaires à la réparation ? Si ce n'est dans les réincarnations ultérieures, nous retomberions forcément dans l'ornière de l'enfer. Mais un enfer éternel est aussi impossible qu'un éternel paradis. Car il n'est pas d'acte si louable et il n'est pas de crime si affreux qui entraînent une éternité de récompenses ou de châtiments !

Il suffit de considérer l'oeuvre de la nature depuis l'origine des temps, pour constater partout cette lente et tranquille évolution des êtres et des choses, qui convient si bien à la Puissance éternelle et que proclament toutes les voix de l'Univers. L'âme humaine n'échappe pas à cette règle souveraine. Elle est la synthèse, le couronnement de ce prodigieux effort, le dernier anneau de la chaîne qui se déroule depuis les bas-fonds de la vie et couvre le globe entier. N'est-ce pas en l'homme que se résume toute l'évolution des règnes inférieurs et qu'apparaît avec éclat le principe sacré de perfectibilité ? Ce principe n'est-il pas son essence même et comme le sceau divin apposé sur sa nature ? Et, s'il en est ainsi, comment admettre que l'intelligence humaine puisse être placée en dehors des lois imposantes, émanées de la source première des Intelligences ?

Le flot de la vie qui roule à travers les âges pour aboutir à l'être humain et qui, dans sa course, est dirigé par cette règle grandiose de l'évolution, peut-il aboutir à l'immobilité ? Le principe du progrès est écrit partout : dans la nature et dans l'histoire. Tout le mouvement qu'il imprime aux forces en action sur notre monde aboutit à l'homme, et l'on voudrait que la partie essentielle de l'homme, son moi, sa conscience, échappât à cette loi de continuité et de progression ? Non ! la logique, sans parler des faits, nous le démontre : notre existence ne peut être isolée. Le drame de la vie ne peut se composer d'un seul acte ; il lui faut une suite, un prolongement, par lesquels s'expliquent et s'éclairent les incohérences apparentes et les obscurités du présent ; il faut un enchaînement d'existences, solidaires les unes des autres, et faisant ressortir le plan, l'économie qui président aux destinées des êtres humains.

En résulte-t-il que nous soyons condamnés à un labeur pénible et incessant ? La loi d'ascension recule-t-elle indéfiniment la période de paix et de repos ? Nullement. A l'issue de chaque vie terrestre, l'âme récolte le fruit des expériences acquises ; elle replie ses forces et ses facultés vers la vie intérieure et subjective. Elle procède à l'inventaire de son oeuvre terrestre, s'en assimile les parties utiles et en rejette l'élément stérile. C'est la première occupation de l'Au-delà, le travail par excellence de récapitulation et d'analyse. Le recueillement entre les périodes d'activité terrestre est nécessaire, et tout être qui suit la voie normale en bénéficie à son tour.

Nous disions recueillement, car, en réalité, l'esprit, à l'état libre, ne connaît guère le repos. L'activité est sa nature même. Ne le voyons-nous pas dans le sommeil ? Les organes matériels de transmission, seuls, ressentent la fatigue et périclitent peu à peu. Dans la vie de l'espace, ces entraves sont presque inconnues ; l'esprit peut se consacrer, sans gêne et sans contrainte, jusqu'à l'heure de la réincarnation, aux missions qui lui sont dévolues.

Son retour à la vie terrestre est pour lui comme un rajeunissement. A chaque renaissance, l'âme se reconstitue une sorte de virginité. L'oubli du passé, comme un Léthé bienfaisant et réparateur, refait d'elle un être neuf, qui recommence l'ascension vitale avec plus d'ardeur. Chaque vie réalise un progrès, chaque progrès augmente la puissance de l'âme et la rapproche de l'état de perfection. Cette loi nous montre la vie éternelle dans son ampleur. Tous nous avons un idéal à réaliser : la beauté suprême et le suprême bonheur. Nous nous acheminons vers cet idéal plus ou moins rapidement, suivant l'impulsion de nos élans et l'intensité de nos désirs. Notre volonté et notre conscience, reflets vivants de la norme universelle, sont nos seuls arbitres. Chaque existence humaine conditionne la suivante. Leur ensemble constitue la plénitude de la destinée, c'est-à-dire la communion avec l'infini.

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On nous demande souvent : comment l'expiation, le rachat des fautes passées, peuvent-ils être méritoires et féconds pour l'esprit réincarné, puisque, oublieux et inconscient des causes qui l'oppriment, il ignore présentement le but et la raison d'être de ses épreuves ?

Nous avons vu que la souffrance n'est pas forcément une expiation. Toute la nature souffre ; tout ce qui vit : la plante, l'animal et l'homme, est soumis à la douleur. La souffrance est surtout un moyen d'évolution, d'éducation. Mais dans le cas proposé, il faut rappeler qu'une distinction doit être établie entre l'inconscience actuelle et la conscience virtuelle de la destinée dans l'esprit réincarné.

Lorsque l'Esprit a compris, dans la lumière intense de l'Au-delà, qu'une vie d'épreuves lui était absolument nécessaire pour effacer les résultats fâcheux de ses précédentes existences, ce même Esprit, dans un mouvement de pleine intelligence et de pleine liberté, a spontanément choisi ou accepté sa réincarnation future avec toutes les conséquences qu'elle entraîne, y compris l'oubli du passé, qui suit l'acte de réincarnation. Cette vue initiale, claire et totale, de sa destinée, au moment précis où l'esprit accepte la renaissance, suffit amplement à établir la conscience, la responsabilité et le mérite de cette nouvelle vie. Il en garde ici-bas l'intuition voilée, l'instinct assoupi, que la moindre réminiscence, le moindre rêve suffisent à réveiller et à faire revivre. C'est par ce lien invisible, mais réel et puissant, que la vie présente se rattache à la vie antérieure du même être et constitue l'unité morale et la logique implacable de son destin. Nous l'avons démontré, si nous ne nous souvenons pas du passé, c'est que, le plus souvent, nous ne faisons rien pour réveiller ces souvenirs endormis. Mais l'ordre des choses n'en subsiste pas moins ; aucun anneau de la chaîne magnétique de la destinée n'est oblitéré, encore moins rompu.

L'homme d'un âge mûr ne se souvient plus des détails de sa prime jeunesse ; cela l'empêche-t-il d'être l'enfant d'autrefois et d'en réaliser les promesses ? Le grand artiste qui, au soir d'un jour laborieux, cède à la fatigue et s'endort ne garde-t-il pas, durant son sommeil, le plan virtuel, la vision intime de l'oeuvre qu'il va reprendre et continuer dès son réveil ? Il en est ainsi de notre destinée. Elle aussi est un labeur constant, entrecoupé plusieurs fois dans son cours par des sommeils qui sont en réalité des activités de formes différentes, illuminés par des rêves de lumière et de beauté !

La vie de l'homme est un drame logique et harmonieux dont les scènes et les décors changent, varient à l'infini, mais ne s'écartent jamais un seul instant de l'unité du but ni de l'harmonie de l'ensemble. C'est seulement à notre retour dans le monde invisible que nous comprendrons la valeur de chaque scène, l'enchaînement des actes, l'incomparable harmonie du tout dans ses rapports avec la vie et l'unité universelle.

Suivons donc avec foi et confiance la ligne tracée par un doigt infaillible. Allons à nos fins, comme les fleuves vont à la mer en fécondant la terre et en réfléchissant le ciel.

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Deux objections se présentent encore : «Si la théorie de la réincarnation était vraie - dit Jacques Brieu, dans le Moniteur des Etudes psychiques, - le progrès moral devrait être sensible depuis le commencement des temps historiques. Or, il en est tout autrement. Les hommes d'aujourd'hui sont aussi égoïstes, aussi violents, aussi cruels et aussi féroces qu'ils l'étaient il y a deux mille ans.»

Cette appréciation est excessive. Même en la considérant comme exacte, elle ne prouve rien contre la réincarnation. Les hommes les meilleurs, nous le savons, ceux qui, après une suite d'existences, ont atteint un certain degré de perfection, poursuivent leur évolution sur des mondes plus avancés et ne reviennent sur la terre qu'exceptionnellement, en qualité de missionnaires. D'autre part, des contingents d'esprits, venus de plans inférieurs, s'ajoutent chaque jour à la population du globe. Comment, dans ces conditions, s'étonner que le niveau moral s'élève trop peu ?

Seconde objection : la doctrine des vies successives, en se répandant dans l'humanité, amène des abus inévitables. N'en est-il pas ainsi de toutes choses au sein d'un monde peu avancé, dont la tendance est de corrompre, de dénaturer les enseignements les plus sublimes, de les accommoder à ses goûts, à ses passions, à ses bas intérêts ?

Il est certain que l'orgueil humain peut trouver là d'amples satisfactions, et, les Esprits moqueurs ou la suggestion aidant, on assiste parfois aux révélations les plus burlesques. De même que beaucoup de gens ont la prétention de descendre d'une illustre lignée, de même, parmi les théosophes et les spirites, on rencontre maint croyant bénévole convaincu d'avoir été tel ou tel personnage célèbre du passé.

«De nos jours - dit Myers2 - Anna Kingsford et Edward Maitland prétendaient n'avoir été rien moins que la vierge Marie et saint Jean-Baptiste.»

Pour mon compte personnel, je connais, de par le monde, une dizaine de personnes qui affirment avoir été Jeanne d'Arc. On n'en finirait pas, s'il fallait énumérer tous les cas de ce genre. Il y a pourtant là une part possible de vérité. Mais comment la distinguerons-nous des erreurs ? Il faut, en ces matières, se livrer à une analyse attentive et passer ces révélations au crible d'une critique rigoureuse ; rechercher d'abord si notre individualité présente des traits frappants de ressemblance avec la personne désignée ; puis réclamer, de la part des Esprits révélateurs, des preuves d'identité touchant ces personnalités du passé et l'indication de détails et de faits inconnus, dont la vérification soit possible ultérieurement.

Remarquons que ces abus, comme tant d'autres, ne tiennent pas à la nature de la cause incriminée, mais bien à l'infériorité du milieu où elle agit. Ces abus, fruits de l'ignorance et d'un faux jugement, s'atténueront et disparaîtront avec le temps, grâce à une éducation plus forte et plus pratique.

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Une dernière difficulté subsiste encore : c'est celle qui résulte de la contradiction apparente des enseignements spirites au sujet de la réincarnation. Dans les pays anglo-saxons, elle fut longtemps passée sous silence dans les messages des Esprits ; plusieurs même la nièrent, et ce fut là un argument capital pour les adversaires du spiritisme.

Nous avons déjà répondu en partie à cette objection. Nous disions plus haut que cette anomalie s'expliquait par la nécessité où se trouvaient les Esprits de ménager, au début, des préjugés religieux très invétérés en certains milieux. Plusieurs points de la doctrine ont été volontairement laissés dans l'ombre dans les pays protestants, plus hostiles à la réincarnation, pour être divulgués par la suite, à des moments jugés plus opportuns. En effet, après cette période de silence, nous voyons les affirmations spirites en faveur des vies successives, se produire aujourd'hui dans les pays d'outre-mer avec la même intensité que dans les pays latins. Il y a eu gradation sur quelques points de l'enseignement ; il n'y a pas eu contradiction.

Les négations émanent presque toujours d'Esprits trop peu avancés pour savoir et pouvoir lire en eux-mêmes et discerner l'avenir qui les attend. Nous savons que ces âmes subissent la réincarnation sans la prévoir et, l'heure venue, sont plongées dans la vie matérielle comme dans un sommeil anesthésique.

Les préjugés de race et de religion, qui ont exercé sur la terre une influence considérable sur ces esprits, persistent encore en eux dans l'autre vie. Tandis que l'entité élevée peut aisément s'en affranchir à la mort, les moins avancées y restent longtemps soumises.

Dans le nouveau continent, les préjugés de couleur ont fait considérer la loi des renaissances sous un tout autre aspect que dans l'ancien monde, où de vieilles traditions orientales et celtiques en avaient déposé le germe en beaucoup d'âmes. Elle y paraissait tout d'abord si choquante, elle y soulevait tant de répulsion, que les Esprits directeurs du mouvement crurent plus sage de temporiser. Ils laissèrent d'abord l'idée se répandre dans des milieux mieux préparés pour, de là, gagner les centres réfractaires par des voies différentes, visibles et occultes, et s'y infiltrer lentement, comme cela a lieu à l'heure où nous sommes.

L'éducation protestante ne laisse dans la pensée des croyants orthodoxes aucune place à la notion des vies successives. D'après elle, l'âme, à la mort, est jugée et fixée définitivement, soit au paradis, soit dans l'enfer. Pour les catholiques, il existe un terme moyen : c'est le purgatoire, milieu imprécis, non circonscrit, où l'âme doit expier ses fautes et se purifier par des moyens mal définis. Cette conception est un acheminement vers l'idée des renaissances terrestres. Le catholique peut ainsi relier les anciennes croyances aux nouvelles, tandis que le protestant orthodoxe se trouve dans la nécessité de faire table rase et d'édifier dans son entendement des doctrines absolument différentes de celles qui lui ont été suggérées par sa religion. De là, l'hostilité que le principe des vies multiples a rencontrée tout d'abord dans les pays anglo-saxons, ralliés au protestantisme ; de là, les préjugés qui persistent, même après la mort, chez une certaine catégorie d'Esprits.

Nous l'avons vu : une réaction se produit peu à peu, à l'heure présente. La croyance aux vies successives gagne chaque jour un peu plus de terrain dans les pays protestants, à mesure que l'idée de l'enfer perd toute influence. Elle compte déjà en Angleterre et en Amérique de nombreux partisans. Les principaux organes spirites de ces pays l'ont adoptée ou tout au moins la discutent avec une impartialité de bon aloi. Les témoignages des Esprits en sa faveur, si rares au début, se multiplient aujourd'hui. En voici quelques exemples :

Un important ouvrage a été publié en 1905, à New York, sous le titre : The Widow's Mite, dans lequel le principe des réincarnations est accepté. L'auteur, M. Funck, est, dit J. Colville, dans Light, «un homme très connu et hautement respecté dans les centres littéraires américains, comme le plus ancien associé de la firme Funck and Wagnalls, qui publie le fameux Standard Dictionary, dont l'autorité est reconnue partout où l'on parle anglais.»

Dans cet ouvrage, l'auteur expose d'abord les conditions d'expérimentation qui sont rigoureuses, puis, il passe en revue les communications de l'esprit guide Amos. Celui-ci dit un jour :

Il y a ici un Esprit lumineux que je vous présente ce soir. Il vient vous renseigner au sujet de la Réincarnation, qui a fait l'objet d'une de vos questions. C'est un Esprit très élevé, que nous considérons comme un instructeur pour nous-mêmes, et il vient sur nos instances. Vous vous rappelez que les questions que vous avez posées déjà, dans plusieurs soirées, n'avaient pas reçu de réponse satisfaisante. C'est pour cela que nous avons eu recours à lui et il a consenti à venir. Je regrette vivement que le professeur Hyslop soit absent, car il avait posé plusieurs questions à ce sujet, l'autre soir.

Une voix beaucoup plus forte que la précédente et qui en diffère absolument prend ainsi la parole : «Mes amis, la Réincarnation est la loi du développement de l'esprit, dans la voie de son progrès (et nous devons tous progresser, lentement il est vrai, avec des temps d'arrêt, plus ou moins prolongés, et cette croissance demande de longs siècles)

Stainton Moses, alias Oxon, professeur à l'Université d'Oxford, qui fut le médium idéal parce qu'il était de haute culture et d'une moralité exemplaire et l'instigateur du mouvement spiritualiste en Angleterre, a reçu et reproduit l'affirmation des vies successives dans ses Enseignements spiritualistes (page 51).

L'enfant, lui dit-on, ne peut acquérir l'amour et la science que par l'éducation acquise par une nouvelle vie terrestre. Une telle expérience est nécessaire et de nombreux esprits choisissent un retour à la terre, afin de gagner ce qui leur manque.

Frédéric Myers, dans son magistral ouvrage : la Personnalité humaine ; sa survivance (édition anglaise), chapitre X, paragraphe 1011, exprime une opinion analogue :

Notre nouvelle connaissance «en psychisme», en confirmant la pensée ancienne, confirme aussi, pour le christianisme, les récits des apparitions du Christ après la mort et nous fait entrevoir la possibilité de la réincarnation bienfaisante d'Esprits qui ont déjà atteint un niveau plus élevé que celui de l'homme.

Page 329 : La doctrine de la réincarnation ne renferme rien qui soit contraire à la meilleure raison et aux instincts les plus élevés de l'homme. Il n'est certes pas facile d'établir une théorie posant la création directe d'Esprits à des phases d'avancement aussi diverses que celles dans lesquelles ces Esprits entrent dans la vie terrestre sous forme d'hommes mortels ; il doit exister une certaine continuité, une certaine forme de passé spirituel. Pour le moment, nous ne possédons aucune preuve en faveur de la réincarnation.

Myers ne connaissait pas les expériences récentes dont nous parlons au chapitre XIV ; cependant (page 407), il affirme encore «l'évolution graduelle (des âmes) à nombreuses étapes, à laquelle il est impossible d'assigner une limite».

Plus récemment, les Lettres du monde des Esprits, de Lord Carlingford, publiées en Angleterre, admettent les réincarnations comme une conséquence nécessaire de la loi d'évolution.

La doctrine des vies successives, disons-nous, se glisse un peu partout en ce moment, de l'autre côté de la Manche. Nous y voyons un philosophe, comme le professeur Taggart, l'adopter de préférence aux autres doctrines spiritualistes et déclarer, comme l'avait fait Hume avant lui, «qu'elle est la seule apportant des vues raisonnables sur l'immortalité».

Enfin, dans son discours d'ouverture comme président de la Society for Psychical Research, le Rev. W. Boyd-Carpenter, évêque de Ripon, le 23 mai 1912, devant un auditoire nombreux et distingué, a fait ressortir l'utilité des recherches psychiques pour obtenir une connaissance plus complète du moi humain et préciser les conditions de son évolution. «L'intérêt de ce discours, disent les Annales des Sciences psychiques de mai 1912, réside spécialement en ceci : qu'on y voit un haut dignitaire de l'Eglise anglicane affirmer, comme certains Pères de l'Eglise, la préexistence de l'âme, adhérer à la théorie de l'évolution et des existences multiples.»


1 Voir Christianisme et Spiritisme, passim.


2 La personnalité humaine, page 331.