XXIII. - LA PENSEE.

La pensée est créatrice. De même que la pensée éternelle projette sans cesse dans l'espace les germes des êtres et des mondes, de même celle de l'écrivain, de l'orateur, du poète, de l'artiste fait jaillir une incessante floraison d'idées, d'oeuvres, de conceptions, qui vont influencer, impressionner, en bien ou en mal, suivant leur nature, l'immense foule humaine.

C'est pourquoi la mission des ouvriers de la pensée est à la fois grande, redoutable et sacrée.

Grande et sacrée, car la pensée dissipe les ombres du chemin, résout les énigmes de la vie et trace la route de l'humanité ; c'est sa flamme qui réchauffe les âmes et embellit les déserts de l'existence. Redoutable aussi, puisque ses effets sont puissants pour la descente comme pour l'ascension.

Tôt ou tard, tout produit de l'esprit revient vers son auteur avec ses conséquences, entraînant pour celui-ci, selon le cas, la souffrance, un amoindrissement, une privation de liberté, ou bien des satisfactions intimes, une dilatation, une élévation de son être.

La vie présente est, on le sait, un simple épisode de notre longue histoire, un fragment de la grande chaîne qui se déroule, pour tous, à travers l'immensité. Et, constamment, retombent sur nous, en brumes ou en rayons, les résultats de nos oeuvres. L'âme humaine parcourt sa voie, entourée d'une atmosphère radieuse ou sombre, peuplée des créations de sa pensée. Et c'est là, dans la vie de l'espace, sa gloire ou sa honte.

*
* *

Pour donner à la pensée toute sa force et son ampleur, rien n'est plus efficace que la recherche des grands problèmes. Pour bien exprimer, il faut sentir puissamment ; pour goûter les sensations hautes et profondes, il faut remonter à la source d'où découle toute vie, toute harmonie, toute beauté.

Ce qu'il y a de noble et d'élevé dans le domaine de l'intelligence émane d'une cause éternelle, vivante et pensante. Plus l'essor de la pensée vers cette cause est grand, plus haut elle plane, plus radieuses aussi sont les clartés entrevues, plus enivrantes les joies ressenties, plus puissantes les forces acquises, plus géniales les inspirations ! Après chaque essor, la pensée redescend, vivifiée, éclairée, dans le champ terrestre, pour reprendre la tâche par laquelle elle grandira encore, car c'est le travail qui fait l'intelligence, comme c'est l'intelligence qui fait la beauté, la splendeur de l'oeuvre accomplie.

Elève ton regard, ô penseur, ô poète ! jette ton cri d'appel, d'aspiration, de prière ! Devant la mer aux reflets changeants, à la vue de blanches cimes lointaines ou de l'infini étoilé, n'as-tu jamais éprouvé ces heures d'extase et d'ivresse où l'âme se sent plongée dans un rêve divin, où l'inspiration arrive, puissante, comme un éclair, rapide messager du ciel à la terre ?

Prête l'oreille ! n'as-tu jamais entendu, au fond de ton être, vibrer ces harmonies confuses, ces rumeurs du monde invisible, voix de l'ombre qui bercent ta pensée et la préparent aux intuitions suprêmes ?

En tout poète, artiste, écrivain, il est des germes de médiumnité, inconscients, insoupçonnés et qui ne demandent qu'à éclore ; par eux, l'ouvrier de la pensée entre en rapport avec la source inépuisable et reçoit sa part de révélation. Cette révélation d'esthétique appropriée à sa nature, à son genre de talent, il a pour mission de l'exprimer en des oeuvres qui feront pénétrer dans l'âme des foules une vibration des forces divines, une radiation des vérités éternelles.

C'est dans la communion fréquente et consciente avec le monde des Esprits que les génies de l'avenir puiseront les éléments de leurs oeuvres. Dès aujourd'hui, la pénétration des secrets de sa double vie vient offrir à l'homme des secours et des lumières que les religions défaillantes ne sauraient plus lui procurer. Dans tous les domaines, l'idée spirite va féconder la pensée en travail.

La science lui devra une rénovation complète de ses théories et de ses méthodes. Elle lui devra la découverte de forces incalculables et la conquête de l'univers occulte. La philosophie y gagnera une connaissance plus étendue et plus précise de la personnalité humaine. Celle-ci, dans la transe et l'extériorisation, est comme une crypte qui s'ouvre, remplie de choses étranges, et où se cache la clé du mystère de l'être.

Les religions de l'avenir trouveront dans le spiritisme les preuves de la survivance et les règles de la vie dans l'Au-delà, en même temps que le principe d'une union étroite des deux humanités, visible et invisible, dans leur ascension vers le Père commun. L'art, sous toutes ses formes, y découvrira des sources inépuisables d'inspiration et d'émotion.

L'homme du peuple, aux heures de lassitude, y puisera le courage moral. Il comprendra que l'âme peut grandir aussi bien par le labeur humble que par l'oeuvre altière et qu'aucun devoir n'est négligeable ; que l'envie est soeur de la haine et que, souvent, on est moins heureux dans le luxe que dans la médiocrité. Le puissant y apprendra la bonté, avec le sentiment de cette solidarité qui nous relie tous à travers nos vies et peut nous contraindre à revenir petits pour acquérir les vertus modestes.

Le sceptique y trouvera la foi ; le découragé, les longs espoirs et les viriles résolutions ; tous ceux qui souffrent, l'idée profonde qu'une loi de justice préside à toutes choses ; qu'il n'y a pas, en aucun domaine, d'effet sans cause, pas d'enfantement sans douleur, pas de victoire sans combat, pas de triomphe sans rudes efforts, mais qu'au-dessus de tout règne une parfaite et majestueuse sanction, et que nul n'est abandonné de Dieu, dont il est parcelle.

Ainsi s'opérera, lentement, la rénovation de l'humanité, si jeune encore, si ignorante d'elle-même, mais dont le désir se porte peu à peu vers la compréhension de sa tâche et de son but, en même temps que s'agrandit son champ d'exploration et la perspective d'un avenir sans fin. Et bientôt voici qu'elle avance, plus consciente d'elle-même et de sa force, consciente de sa magnifique destinée. A chaque étape franchie, voyant et voulant davantage, sentant briller et s'aviver le foyer qui est en elle, elle voit aussi les ténèbres reculer, les sombres énigmes du monde se fondre et se résoudre, et le chemin s'éclairer d'un rayon puissant. Avec les ombres s'évanouissent peu à peu les préjugés, les terreurs vaines ; les contradictions apparentes de l'univers se dissipent, et l'harmonie se fait en toutes choses. Alors la confiance et l'allégresse pénètrent dans ces âmes, l'homme sent grandir sa pensée et son coeur. Et il avance de nouveau, sur la route des âges, vers le terme de son oeuvre ; mais son oeuvre n'a pas de terme. Car chaque fois que l'humanité se hausse vers un idéal nouveau, elle croit avoir atteint l'idéal suprême, alors qu'elle n'a atteint, en réalité, que la croyance ou le système correspondant à son degré d'évolution. Mais chaque fois aussi, de ses élans, de ses succès, découlent pour elle des félicités et des forces nouvelles, et elle trouve la récompense de ses labeurs et de ses angoisses dans le labeur même, dans la joie de vivre et de progresser, qui est la loi des êtres, dans une communion plus intime avec l'Univers, dans une possession un peu plus entière du Bien et du Beau.

*
* *

O écrivains, artistes, poètes, vous dont le nombre s'accroît tous les jours, dont les productions se multiplient et montent comme un flot grandissant, souvent belles par la forme, mais faibles par le fond, superficielles et matérielles, que de talent ne dépensez-vous pas pour des causes médiocres ! Que d'efforts gaspillés ou mis au service de passions malsaines, de voluptés inférieures et d'intérêts vils !

Alors que de vastes et magnifiques horizons se déploient, que le livre merveilleux de l'univers et de l'âme s'ouvre, tout grand, devant vous et que le Génie de la pensée vous convie à de nobles taches, à des oeuvres pleines de sève, fécondes pour l'avancement de l'humanité, vous vous complaisez trop souvent à de puériles et stériles études, à des travaux où la conscience s'étiole, où l'intelligence s'affaisse et s'alanguit dans le culte exagéré des sens et des impurs instincts.

Qui de vous dira l'épopée de l'âme, luttant pour la conquête de ses destinées dans le cycle immense des âges et des mondes ; ses douleurs et ses joies, ses chutes et ses relèvements, la descente dans les gouffres de vie, les coups d'aile dans la lumière, les immolations, les holocaustes qui sont un rachat, les missions rédemptrices, la participation grandissante aux conceptions divines !

Qui dira aussi les puissantes harmonies de l'univers, harpe gigantesque vibrant sous la pensée de Dieu, le chant des mondes, le rythme éternel qui berce la genèse des astres et des humanités !

Ou bien la lente élaboration, la douloureuse gestation de la conscience à travers les stades inférieurs, la construction laborieuse d'une individualité, d'un être moral ! Qui dira la conquête de la vie, toujours plus pleine, plus large, plus sereine, plus éclairée des rayons d'en haut, la marche de sommet en sommet, à la poursuite du bonheur, de la puissance et du pur amour ? Qui chantera l'oeuvre de l'homme, lutteur immortel, élevant à travers ses doutes, ses déchirements, ses angoisses et ses larmes, l'édifice harmonique et sublime de sa personnalité pensante et consciente ? Toujours en avant, toujours plus loin, toujours plus haut !

On répondra : nous ne savons. Et l'on demande : qui nous enseignera ces choses ?

Qui ? Les voix intérieures et les voix de l'Au-delà ! Apprenez à ouvrir, à feuilleter, à lire le livre caché en vous, le livre des métamorphoses de l'être. Il vous dira ce que vous avez été et ce que vous serez. Il vous apprendra le plus grand des mystères, la création du soi par l'effort constant, l'action souveraine qui, dans la pensée silencieuse, fait germer l'oeuvre et, suivant vos aptitudes, votre genre de talent, vous fera peindre les plus belles toiles, sculpter les plus idéales formes, composer les symphonies les plus harmonieuses, écrire les plus belles pages, réaliser les plus beaux poèmes.

Tout est là, en vous, autour de vous ! Tout parle, tout vibre, le visible et l'invisible, tout chante et célèbre la gloire de vivre, l'ivresse de penser, de créer, de s'associer à l'oeuvre universelle. Splendeurs des mers et du ciel étoilé, majesté des cimes, parfums des fleurs, effluves et rayons, bruits mystérieux des forêts, mélodies de la terre et de l'espace, voix de l'invisible qui parlent dans le silence du soir, voix de la conscience, écho de la voix divine, tout est enseignement et révélation pour qui sait voir, écouter, comprendre, penser, agir !

Puis, au-dessus de tout, la Vision Suprême, la vision sans formes, la Pensée incréée, vérité totale, harmonie finale des essences et des lois, qui, depuis le fond de notre être, jusqu'à la plus lointaine étoile, relie tout et tous dans son unité resplendissante. Et la chaîne de vie, qui s'étage et se déroule dans l'infini, échelle des puissances spirituelles qui portent à Dieu les appels de l'homme par la prière et à l'homme la réponse de Dieu par l'inspiration.

Et maintenant, une question dernière. Pourquoi, au milieu de l'immense labeur et de l'abondante production intellectuelle qui caractérisent notre époque, trouve-t-on si peu d'oeuvres fortes et de conceptions géniales ? Parce que nous avons cessé de voir les choses divines par les yeux de l'âme ! Parce que nous avons cessé de croire et d'aimer !

Remontons donc aux sources célestes et éternelles : c'est le seul remède à notre anémie morale. Tournons notre pensée vers les choses solennelles et profondes. Que la science s'éclaire et se complète par les intuitions de la conscience et les facultés supérieures de l'esprit. Le spiritualisme moderne nous y aidera.