XXI. - JEANNE D'ARC A L'ETRANGER.

Nous pensons en Angleterre que Jeanne est la plus grande héroïne qu'ait vue le monde, et nous regrettons ce qui a été fait et qui fut mal fait.

EDWARD CLARKE.

La vie et l'oeuvre de Jeanne d'Arc ont suscité l'admiration de tous nos voisins. La vierge lorraine, parfois critiquée, dénigrée en France, ne rencontre au-dehors qu'un respect et une sympathie universels.

Domremy est devenu le but de pèlerinages internationaux. Les Anglais, venus soit en groupes, soit isolément, y affluent. On y rencontre aussi des Américains, des Italiens, des Russes, des Hollandais, des Belges, des Allemands, etc.

L'Angleterre tout entière s'est prise d'enthousiasme pour la grande inspirée, et ses fils ne manquent pas une seule occasion de la glorifier.

Aux fêtes normandes célébrées en mai, à Rouen, figurent chaque année, des délégations anglaises, qui traversent la Manche pour honorer avec solennité la mémoire de la Pucelle. Déjà en 1909, l'une d'elles dirigée par M. Edward Clarke, maire d'Hastings, se présenta en grand cérémonial précédée des deux massiers traditionnels pour déposer une branche de lis en fer forgé, sur la place même où Jeanne fut suppliciée. Le maire d'Hastings prononça les paroles émouvantes qui servent d'épigraphe à ce chapitre1.

Un mémoire du quinzième siècle sur les " miracles " accomplis par Jeanne, ayant été découvert dans les archives du Vatican en 1885, une commission fut constituée pour dépouiller et vérifier ce document.

Le président désigné fut un cardinal anglais, l'éminent Howard, d'illustre naissance. Il eut une noble expression : " Ce n'est pas d'une main sanglante que je vais tourner les pages de cette sublime histoire : c'est d'une main repentante. "

L'Angleterre avait déjà répudié le crime de Bedford, le jour où la reine Victoria voulut avoir sous les yeux l'image de notre Jeanne, et fit peindre son portrait.

Catholique, l'Angleterre n'avait pas cherché à intimider Rome lors du procès de réhabilitation ; devenue protestante, elle aida de son mieux à la béatification.

Spectacle touchant : le léopard se couche aux pieds de la vierge de Domremy et implore son pardon !

N'y a-t-il pas là une leçon pour les Français ? une invitation à tresser la plus belle des couronnes à leur héroïne et, comme nos voisins d'outre-Manche, à faire amende honorable devant celle envers qui tous les partis se rendirent coupables ? Oui certes, coupables ! Ce furent des catholiques français qui la condamnèrent, au moment même où les royalistes l'abandonnaient à son sort cruel, et les libres penseurs n'ont guère mieux agi envers elle : un de leurs maîtres, Voltaire, l'a profanée, et aujourd'hui encore, c'est parmi eux que se rangent tous ses détracteurs.

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Recherchons de quelle façon la mémoire de Jeanne a conquis peu à peu l'opinion publique en Angleterre et en Allemagne. Dans cet examen, nous nous inspirerons, tout spécialement, du travail de M. James Darmesteter : Nouvelles Etudes anglaises, et de l'intéressante brochure de M. Georges Goyau : Jeanne d'Arc devant l'opinion allemande.

Tout d'abord, en ce qui touche l'opinion anglaise, citons M. J. Darmesteter :

" La vie de Jeanne d'Arc en Angleterre, depuis sa mort jusqu'à nos jours, se divise en trois périodes : sorcière, - héroïne, - sainte ; d'abord deux siècles d'insulte et de haine, puis un siècle de justice humaine ; enfin, en 1793, s'ouvre une ère d'adoration et d'apothéose. "

A la première période se rattachent les chroniques de Caxton et Holinshed, et le Henri VI attribué à Shakespeare. La vague de haine et de calomnie, soulevée par l'oeuvre de Jeanne d'Arc, s'arrête là. En 1679, le docteur Howell constate déjà, que " la fameuse bergère Jeanne de Lorraine a fait de bien grandes choses ".

En 1747, l'historien conservateur William Guthrie écrit, à propos du jugement de la Pucelle : " Comme l'or, elle partit plus pure à chaque épreuve. "

En 1796 apparaît l'oeuvre célèbre de Southey : Joan of Arc, poème épique plein de lacunes et d'erreurs, mais qu'anime un souffle généreux.

Cette oeuvre accentua le revirement d'opinion en faveur de Jeanne. Certains critiques anglais la trouvèrent pourtant insuffisante. Thomas de Quincey, l'un des écrivains les plus érudits et les plus estimés de ce temps, reproche au poète d'avoir arrêté la carrière de l'héroïne au sacre de Reims, et d'avoir esquivé sa passion. Il dit à ce sujet :

" Tout ce qu'elle avait à faire était accompli ; il lui restait à souffrir. Jamais, depuis que furent jetés les fondements de la terre, il n'y eut tel procès que le sien, si on pouvait le déployer dans toute sa beauté de défense, dans toute son horreur infernale d'attaque. O enfant de France, bergère, jeune paysanne foulée aux pieds de tous ceux qui t'entourent ! "

Depuis un siècle, l'Angleterre ne cesse de rendre à la mémoire de Jeanne les plus chaleureux hommages. Richard Green la considère comme " la figure de pureté qui se détache du sein de l'avidité, de la luxure, de l'égoïsme, de l'incrédulité du temps ". Les biographies de l'héroïne, les apologies se multiplient. Citons aussi ces paroles de Carlyle :

" Jeanne d'Arc devait être une créature de rêves pleins d'ombres et de lumières profondes, de sentiments indicibles, de pensées qui erraient à travers l'éternité. Qui peut dire les épreuves et les triomphes, les splendeurs et les terreurs dont ce simple esprit était la scène ? "

L'oeuvre plus récente de l'écrivain écossais Andrew Lang, sur Jeanne d'Arc2, constitue un magnifique plaidoyer en faveur de l'héroïne, que l'auteur défend avec humour et sagacité contre les attaques sournoises d'Anatole France. Il dit, entre autres :

" Dès le milieu du dix-huitième siècle, lorsque David Hume, grâce aux chroniqueurs écossais, put acquérir la certitude de l'iniquité de la condamnation de Jeanne, tout le monde en Angleterre fut éclairé sur cet événement historique. Depuis, on y a glorifié la martyre de maintes façons. Chaque enfant connaît son histoire, histoire sans pareille. "

Aux jours d'épreuves de la grande guerre, alors que nos deux nations s'unissaient dans un effort suprême et que le souvenir de Jeanne se réveillait plus intense, les manifestations anglaises en son honneur prirent un caractère touchant. Par exemple, des parlementaires anglais venus nombreux à Paris en 1915 déposèrent devant la statue de la place des Pyramides une palme portant l'inscription suivante :

" Les représentants du Parlement britannique déposent cette palme aux pieds de Jeanne d'Arc comme le symbole de la réconciliation complète des deux pays, à l'heure où les deux peuples unis dans le même sentiment de vénération pour l'héroïne de la vieille France défendent ensemble la liberté du monde3."

Enfin nous avons eu la satisfaction de voir, en 1924, l'éminent écrivain anglais Sir Arthur Conan Doyle traduire lui-même et publier dans ses parties essentielles le présent ouvrage sous le titre : The mystery of Joan of Arc4. Son talent, ses connaissances psychiques assuraient d'avance le succès d'une oeuvre que toute la presse anglaise accueillit avec faveur. Sir C. Doyle pour présenter ce livre au public d'outre-Manche a écrit une préface dont nous extrayons seulement les lignes suivantes :

" Si nous faisons abstraction de la divinité du Christ, nous trouverons une grande analogie entre ces deux caractères si nous les comparons à un point de vue purement humain. Tous les deux appartenaient à la classe humble et laborieuse : tous les deux affirmaient et accomplissaient une mission. Tous les deux subirent le martyre quand ils étaient encore jeunes. Tous les deux furent acclamés par le peuple et trahis et méprisés des grands. Ils inspirèrent la haine la plus vive à l'Eglise de leur temps dont les grands prêtres complotèrent la mort de l'un et de l'autre. Enfin tous deux s'exprimèrent en phrases claires et simples, fortes et concises.

" La mission de Jeanne était apparemment guerrière, mais en réalité elle eut pour résultat de mettre fin à un siècle de guerre. Son amour et sa charité étaient si immenses qu'ils n'ont de comparables que les paroles de celui qui, sur la croix, pria pour ses bourreaux. "

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En Allemagne, les exploits de Jeanne d'Arc, nous dit M. Georges Goyau5, étaient connus et suivis au jour le jour. Il en subsiste des preuves écrites, par exemple le Mémorial d'Eberhard de Windecke, historiographe de l'empereur Sigismond.

Un siècle plus tard, vers la fin du règne de François 1°, au même moment où Du Maillan, chroniqueur patenté des Valois, diffamait la Pucelle, et où Etienne Pasquier constatait avec douleur le discrédit dans lequel sa mémoire était tombée dans notre pays, un jeune Prussien, Eustache de Knobelsdorf, improvisait un éloge pathétique de la grande inspirée.

En 1800, Schiller, que la Convention avait honoré du titre de citoyen français, dans un poème tragique de belle envolée, vengeait Jeanne d'Arc des insanités de Voltaire.

Ce poème fut mis à la scène et obtint, dans toute l'Allemagne, un succès extraordinaire. De 1801 à 1843, la Pucelle d'Orléans n'eut pas moins de 241 représentations sur la seule scène berlinoise ; on ne se lassait pas de l'applaudir.

Goethe écrivait à Schiller6 : " Votre pièce est si bonne et si belle, que je ne vois rien à lui comparer. " Cette oeuvre est cependant loin d'être parfaite.

L'auteur a bien vu en Jeanne une âme enflammée de patriotisme, mais, dans son drame, il a souvent défiguré l'histoire. Ce drame, néanmoins, est passé à la postérité, car il témoigne du noble idéal de son auteur en des vers tantôt incisifs, et qui se gravent comme des sentences dans la mémoire, tantôt si touchants, si vraiment humains, que l'âme en garde une impression profonde.

Un critique éminent, A.-W. Schlegel, disait en ces termes son admiration pour le caractère de Jeanne d'Arc dans l'oeuvre de Schiller7 : " La haute mission dont elle a la conscience, et qui impose le respect à tout ce qui l'approche, produit un effet extraordinaire et plein de grandeur. "

L'odyssée littéraire de la Pucelle en Allemagne ne s'arrête pas là. Au lendemain de 1815, un publiciste bavarois, Friedrich Gottlob Wetzel, écrivit une tragédie sur Jeanne d'Arc.

Le baron de la Motte-Fouqué, descendant de réfugiés protestants, pour célébrer l'héroïne se fit traducteur. Il adapta au goût allemand l'Histoire de Jeanne d'Arc de Lebrun des Charmettes.

Mais l'oeuvre la plus rigoureusement historique consacrée, au-delà du Rhin, au souvenir de notre Jeanne, est celle de Guido Goerres. Joseph Goerres et Guido, son fils, écrivirent un livre, dans lequel " ils prosternaient aux pieds de la vierge française les hommages de l'Allemagne ".

Jeanne d'Arc est l'envoyée de Dieu pour le salut de la France : voilà la thèse que soutient Joseph Goerres, dans la préface dont il fait précéder le livre de son fils. Il écrit : " C'était la destinée des Français de devenir, entre les mains de Dieu, dans les âges suivants, un fouet et un aiguillon pour les autres peuples, et la France n'eût pu remplir ce rôle providentiel, si elle n'eût pas été délivrée de la domination étrangère et n'eût pas conservé son individualité8. "

Selon Joseph Goerres, Jeanne appartenait à deux mondes, celui de la terre et celui du ciel ; elle était appelée à agir dans l'un comme envoyée de l'autre ; à ce titre, elle appartiendrait à tous les peuples, au peuple français par le sang, aux autres par ses nobles actions.

Il s'en fallut de peu que Guido Goerres ne précédât Quicherat dans ses recherches. Montalembert eut l'intention d'aborder ce grand sujet, mais le travail de Guido Goerres lui parut assez important pour l'y faire renoncer, et il l'écrivit au père de l'auteur. Guido séjourna à Orléans, vint à Paris, à la Bibliothèque Nationale, et projetait un nouveau livre sur la Pucelle, plus documenté que le premier, quand il fut rappelé en Allemagne et détourné par d'autres travaux.

Depuis cette époque, une pléiade de savants, d'historiens, d'écrivains de tous rangs se sont mis, au-delà du Rhin, à commenter l'épopée de la vierge lorraine.

Par la plume des deux Goerres, le catholicisme allemand avait rendu hommage à la Pucelle ; Charles Hase, en 1850, lui apporta l'hommage du protestantisme9.

Un des biographes allemands de Jeanne, le professeur Hermann Semmig, osait écrire en 1883 : " En France, hors d'Orléans, la Pucelle n'est pas partout aussi chère au peuple français, qu'elle l'est au peuple allemand10. "

" L'Allemagne - écrit encore G. Goyau11 - semble affecter une sorte de coquetterie à l'endroit de la Pucelle ; et cette coquetterie, parfois, dans l'expression dont elle se pare, devient presque offensante pour nous. Si la France pouvait être accusée d'oublier Jeanne, l'Allemagne serait là pour la célébrer ; si quelque Français diffame Jeanne, l'Allemand surgit comme chevalier. On dirait que l'Allemagne littéraire et savante, toujours éprise de l'antique Velléda, porte quelque envie aux Français. "

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L'Italie nous offre, sur le même sujet, la Chronique générale de Venise ou Diario, d'Antonio Morosini, récemment traduite et publiée12.

A. Morosini, noble Vénitien et négociant armateur de réel mérite, a rédigé sous ce titre un " journal ", tenu sans interruption de 1404 à 1434, que la Revue hebdomadaire commente en ces termes :

" Observateur prévoyant et avisé, il (Morosini) a su intercaler le texte de vingt-cinq lettres ou groupes de lettres relatant au fur et à mesure la suite des actions de la Pucelle. Ainsi se trouve composé, spontanément, le plus sincère des ensembles, la " série " la plus captivante de notions, d'impressions et de sensations, rédigées non seulement de semaine à semaine, mais presque de jour à jour.

" Ces correspondances, pour la plupart, proviennent de Bruges, la grande place commerciale de Flandre, centre de négoce, d'affaires et d'informations. Elles résument elles-mêmes, quelquefois, des lettres de multiples origines, de Bourgogne, de Paris, de Bretagne. D'autres arrivent à Venise, directement, d'Avignon, de Marseille, de Gênes, de Milan, du Montferrat. Elles ont pour auteur principal le Vénitien Pancrazio Giustiniani, résidant à Bruges. A côté de lui, se décèle Giovanni de Molino, fixé à Avignon.

" En très peu de jours, dès le 10 mai peut-être, avec une rapidité vraiment surprenante, parvenait d'Orléans jusqu'en Flandre la nouvelle du combat des Tourelles, livré le 7, avec la prévision de la rupture immédiate du siège. Par le courrier ordinaire, la " valise " qui voyage entre Bruges et la cité des Doges, Giustiniani, presque immédiatement l'expédie à Venise, à son père. Ce jour même, le 18 juin, Antonio Morosini transcrit la lettre, la préserve et la sauve.

" Depuis, à intervalles plus ou moins proches, il enregistre, copie ou résume de continuelles missives. La retraite des Anglais, Patay, le sacre, la marche sur Paris, sont annoncés, observés, transmis, avec le reflet de la stupéfaction et de l'enthousiasme suscités par ces incompréhensibles réalités. Même après l'affreux retour sur la Loire, après le désastre de Compiègne, les sympathies continuent. Jusqu'au deuil de Rouen, le drame est suivi avec une émotion qui ne se dément pas13. "

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Par cette étude rapide, on peut voir comment Jeanne, partout glorifiée au-dehors, même par ses ennemis d'antan, n'a rencontré des détracteurs que dans le pays fait, par elle, libre et victorieux. Le culte dont elle est l'objet à l'étranger n'est-il pas de nature à frapper ses contempteurs, eux qui se disent animés de sentiments internationalistes ? C'est en France seulement que Jeanne a été dénigrée par des écrivains de mérite peut-être, mais incapables de la comprendre, parce qu'en elle l'humain et le divin se fondent et s'harmonisent en une idéale figure qui nous surpasse tous.

Sa vie est comme un reflet de celle du Christ. Comme lui, elle est née parmi les humbles ; comme lui, elle a subi l'injustice et la cruauté des hommes. Morte jeune, sa courte et douloureuse existence s'illumine, ainsi que la sienne, des rayons du monde invisible. Il s'y ajoute même un élément de poésie de plus : c'est qu'elle était femme et, parmi les femmes, une des plus sensibles et des plus tendres. Chose singulière et touchante, cette guerrière a le don de pacifier et d'unir. Elle attire tout à elle. Les Anglais, qui l'immolèrent, sont aujourd'hui ses plus chauds partisans ; en France même, pour tous ceux dont l'âme n'est pas desséchée par le vent du scepticisme, les divergences de vue en ce qui la concerne s'estompent et s'évanouissent dans une commune vénération.

Nous parlons des âmes desséchées. Le nombre en est grand chez nous. Depuis un siècle, le scepticisme a fait son oeuvre. Il tend de plus en plus à appauvrir les sources de la vie et de la pensée. Loin d'être une force, une qualité, c'est plutôt une maladie de l'esprit. Il détruit, annihile la confiance que nous devons avoir en nous-mêmes, en nos ressources cachées, la confiance aux possibilités de nous développer, de grandir, de nous élever, par un effort continu, sur les plans magnifiques de l'univers, la confiance en cette loi suprême qui attire l'être du fond des abîmes de vie, et ouvre à son initiative, à son essor, les perspectives infinies du temps et le vaste théâtre des mondes.

Le scepticisme détend peu à peu les ressorts de l'âme, amollit les caractères, éteint l'action féconde et créatrice. Puissant pour détruire, il n'a jamais rien enfanté de grand. En s'accroissant, il peut devenir un fléau, une cause de décadence et de mort pour un peuple.

Le criticisme est un produit de l'esprit sceptique de notre temps. Il a accompli un lent travail de désagrégation ; il a réduit en poussière tout ce qui faisait la force et la grandeur de l'esprit humain. La littérature est son principal moyen d'influence. La nouvelle génération se laisse séduire par la forme élégante du langage et la magie de l'expression chez ses devanciers, et aussi par cette considération morbide, qu'il est plus facile de critiquer, de railler, que d'étudier à fond un sujet et de conclure logiquement. On renonce ainsi peu à peu à toute conviction, à toute foi élevée, pour se complaire en une sorte de dilettantisme vague et stérile. Il est de bon ton de poser pour des désabusés, de considérer l'effort comme vain, la vérité comme inaccessible, d'écarter toute besogne pénible, en se contentant de comparer les opinions et les idées, pour les traiter par l'ironie et les tourner en dérision.

La méthode est aussi indigente que funeste, car elle débilite l'intelligence et le jugement. Il en résulte, à la longue, un amoindrissement sensible des qualités viriles de notre race, une insouciance des grands devoirs de l'existence, une méconnaissance du but de la vie, qui gagnent de proche en proche, pénètrent jusqu'au coeur du peuple, et tendent à tarir les sources de l'énergie nationale.

Les progrès du scepticisme s'expliquent en ce sens que, chez nous, les formes de la foi ne répondent plus aux exigences de l'esprit moderne et de la loi d'évolution. La religion est dépourvue des bases rationnelles sur lesquelles peut s'édifier une conviction forte. Le spiritualisme expérimental vient combler cette lacune, et offrir à l'âme contemporaine un terrain d'observation, un ensemble de preuves et de faits, qui constitue un ferme appui pour les croyances de l'avenir.

Comme aux temps de Jeanne et du Christ, le souffle de l'invisible passe sur le monde. Il va ranimer les courages défaillants, réveiller les âmes qui semblaient mortes. Il ne faut jamais désespérer de l'avenir de notre race. Le germe de la résurrection est en nous, dans nos esprits, dans nos coeurs. La foi éclairée, la confiance et l'amour sont les leviers de l'âme ; quand ils l'inspirent, la soutiennent, l'emportent, il n'est pas de sommet qu'elle ne puisse atteindre !


1 Voir le Journal, 31 mai 1909.


2 ANDREW LANG, The Maid of France. Longmans, Green.


3 Voir aussi mon livre le Monde invisible et la Guerre, p. 32 et s.


4 J. Murray, éditeur. Albemarle Street, W. London.


5 G. GOYAU, Jeanne d'Arc devant l'opinion allemande.


6 Correspondance entre Goethe et Schiller, traduction Saint-René-Taillandier, t. II, p. 229.


7 Cours de littérature dramatique, t. III, pp. 309-310.


8 GUIDO GOERRES, Jeanne d'Arc, traduction Léon Boré.


9 Heilige und Propheten, Zweiter Teil (3° édition, 1893).


10 Die Gartenlaube, 1883, n° 18, p. 291.


11 G. GOYAU, Jeanne d'Arc devant l'opinion allemande, pp. 76-77.


12 Chronique d'ANTONIO MOROSINI. Commentaire et traduction de Léon Dorez.


13 G. LEFEVRE-PONTALIS, Jeanne d'Arc et ses contemporains. Revue hebdomadaire, 17 avril 1909, p. 313.