1. - Peut-on considérer le Spiritisme
comme une révélation ? Dans ce cas, quel est son caractère ?
Sur quoi est fondée son authenticité ? A qui et de quelle
manière a-t-elle été faite ? La doctrine spirite est-elle une
révélation dans le sens théologique du mot, c'est-à-dire
est-elle en tout point le produit d'un enseignement occulte venu
d'en haut ? Est-elle absolue ou susceptible de modifications ? En
apportant aux hommes la vérité toute faite, la révélation
n'aurait-elle pas pour effet de les empêcher de faire usage de
leurs facultés, puisqu'elle leur épargnerait le travail de la
recherche ? Quelle peut être l'autorité de l'enseignement des
Esprits, s'ils ne sont pas infaillibles et supérieurs à
l'humanité ? Quelle est l'utilité de la morale qu'ils
prêchent, si cette morale n'est autre que celle du Christ que
l'on connaît ? Quelles sont les vérités nouvelles qu'ils nous
apportent ? L'homme a-t-il besoin d'une révélation et ne
peut-il trouver en lui-même et dans sa conscience tout ce qui
lui est nécessaire pour se conduire ? Telles sont les questions
sur lesquelles il importe d'être fixé.
2. - Définissons d'abord le sens du mot
révélation. Révéler, du latin revelare, dont la racine est
velum, voile, signifie littéralement sortir de dessous le voile,
et au figuré : découvrir, faire connaître une chose secrète
ou inconnue. Dans son acception vulgaire la plus générale, il
se dit de toute chose ignorée qui est mise au jour, de toute
idée nouvelle qui met sur la voie de ce que l'on ne savait
pas.
A ce point de vue, toutes les sciences qui
nous font connaître les mystères de la nature sont des
révélations, et l'on peut dire qu'il y a pour nous une
révélation incessante ; lastronomie nous a révélé le
monde astral que nous ne connaissions pas ; la géologie, la
formation de la terre ; la chimie, la loi des affinités ; la
physiologie, les fonctions de l'organisme, etc. ; Copernic,
Galilée, Newton, Laplace, Lavoisier sont des
révélateurs.
3. - Le caractère essentiel de toute
révélation doit être la vérité. Révéler un secret, c'est
faire connaître un fait ; si la chose est fausse, ce n'est pas
un fait, et par conséquent il n'y a pas révélation. Toute
révélation démentie par les faits n'en est pas une ; si elle
est attribuée à Dieu, Dieu ne pouvant ni mentir ni se tromper,
elle ne peut émaner de lui ; il faut la considérer comme le
produit d'une conception humaine.
4. - Quel est le rôle du professeur
vis-à-vis de ses élèves, si ce nest celui d'un
révélateur ? Il leur enseigne ce qu'ils ne savent pas, ce
qu'ils n'auraient ni le temps ni la possibilité de découvrir
eux-mêmes, parce que la science est l'oeuvre collective des
siècles et d'une multitude dhommes qui ont apporté,
chacun, leur contingent dobservations, et dont profitent
ceux qui viennent après eux. L'enseignement est donc, en
réalité, la révélation de certaines vérités scientifiques
ou morales, physiques ou métaphysiques, faite par des hommes qui
les connaissent à d'autres qui les ignorent, et qui sans cela
les eussent toujours ignorées.
5. - Mais le professeur n'enseigne que ce
qu'il a appris : c'est un révélateur du second ordre ; l'homme
de génie enseigne ce quil a trouvé lui-même : cest
le révélateur primitif ; il apporte la lumière qui, de proche
en proche, se vulgarise. Où en serait lhumanité, sans la
révélation des hommes de génie qui apparaissent de temps à
autre !
Mais qu'est-ce que les hommes de génie ?
Pourquoi sont-ils hommes de génie ? D'où viennent-ils ? Que
deviennent-ils ? Remarquons que la plupart apportent en naissant
des facultés transcendantes et des connaissances innées, qu'un
peu de travail suffit pour développer. Ils appartiennent bien
réellement à l'humanité, puisqu'ils naissent, vivent et
meurent comme nous. Où donc ont-ils puisé ces connaissances
qu'ils n'ont pu acquérir de leur vivant ? Dira-t-on, avec les
matérialistes, que le hasard leur a donné la matière
cérébrale en plus grande quantité et de meilleure qualité ?
Dans ce cas, ils n'auraient pas plus de mérite qu'un légume
plus gros et plus savoureux qu'un autre.
Dira-t-on, avec certains spiritualistes, que
Dieu les a doués d'une âme plus favorisée que celle du commun
des hommes ? Supposition tout aussi illogique, puisqu'elle
entacherait Dieu de partialité. La seule solution rationnelle de
ce problème est dans la préexistence de l'âme et dans la
pluralité des existences. L'homme de génie est un Esprit qui a
vécu plus longtemps ; qui a, par conséquent, plus acquis et
plus progressé que ceux qui sont moins avancés. En s'incarnant,
il apporte ce qu'il sait, et comme il sait beaucoup plus que les
autres, sans avoir besoin d'apprendre, il est ce qu'on appelle un
homme de génie. Mais ce qu'il sait n'en est pas moins le fruit
d'un travail antérieur, et non le résultat d'un privilège.
Avant de renaître, il était donc Esprit avancé ; il se
réincarne, soit pour faire profiter les autres de ce qu'il sait,
soit pour acquérir davantage.
Les hommes progressent incontestablement par
eux-mêmes et par les efforts de leur intelligence ; mais,
livrés à leurs propres forces, ce progrès est très lent,
s'ils ne sont aidés par des hommes plus avancés, comme
l'écolier l'est par ses professeurs. Tous les peuples ont eu
leurs hommes de génie, qui sont venus, à diverses époques,
donner une impulsion et les tirer de leur inertie.
6. - Dès lors qu'on admet la sollicitude de
Dieu pour ses créatures, pourquoi n'admettrait-on pas que des
Esprits capables, par leur énergie et la supériorité de leurs
connaissances, de faire avancer l'humanité, s'incarnent par la
volonté de Dieu en vue d'aider au progrès dans un sens
déterminé ; quils reçoivent une mission, comme un
ambassadeur en reçoit une de son souverain ? Tel est le rôle
des grands génies. Que viennent-ils faire, sinon apprendre aux
hommes des vérités que ceux-ci ignorent, et qu'ils eussent
ignorées pendant encore de longues périodes, afin de leur
donner un marchepied à l'aide duquel ils pourront s'élever plus
rapidement ? Ces génies, qui apparaissent à travers les
siècles comme des étoiles brillantes, laissant après elles une
longue traînée lumineuse sur l'humanité, sont des
missionnaires, ou, si l'on veut, des messies. Les choses
nouvelles qu'ils enseignent aux hommes, soit dans l'ordre
physique, soit dans l'ordre philosophique, sont des
révélations.
Si Dieu suscite des révélateurs pour les
vérités scientifiques, il peut, à plus forte raison, en
susciter pour les vérités morales, qui sont un des éléments
essentiels du progrès. Tels sont les philosophes dont les idées
ont traversé les siècles.
7. - Dans le sens spécial de la foi
religieuse, la révélation se dit plus particulièrement des
choses spirituelles que l'homme ne peut savoir par lui-même,
qu'il ne peut découvrir au moyen de ses sens, et dont la
connaissance lui est donnée par Dieu ou par ses messagers, soit
au moyen de la parole directe, soit par l'inspiration. Dans ce
cas, la révélation est toujours faite à des hommes
privilégiés, désignés sous le nom de prophètes ou messies,
c'est-à-dire envoyés, missionnaires, ayant mission de la
transmettre aux hommes. Considérée sous ce point de vue, la
révélation implique la passivité absolue ; on l'accepte sans
contrôle, sans examen, sans discussion.
8. - Toutes les religions ont eu leurs
révélateurs, et quoique tous soient loin d'avoir connu toute la
vérité, ils avaient leur raison d'être providentielle ; car
ils étaient appropriés au temps et au milieu où ils vivaient,
au génie particulier des peuples auxquels ils parlaient, et
auxquels ils étaient relativement supérieurs. Malgré les
erreurs de leurs doctrines, ils n'en ont pas moins remué les
esprits, et par cela même semé des germes de progrès qui, plus
tard, devaient s'épanouir, ou s'épanouiront un jour au soleil
du Christianisme. C'est donc à tort qu'on leur jette l'anathème
au nom de lorthodoxie, car un jour viendra où toutes ces
croyances, si diverses pour la forme, mais qui reposent en
réalité sur un même principe fondamental : Dieu et
l'immortalité de l'âme, se fondront dans une grande et vaste
unité, lorsque la raison aura triomphé des préjugés.
Malheureusement, les religions ont, de tout
temps, été des instruments de domination ; le rôle de
prophète a tenté les ambitions secondaires, et l'on a vu surgir
une multitude de prétendus révélateurs ou messies qui, à la
faveur du prestige de ce nom, ont exploité la crédulité au
profit de leur orgueil, de leur cupidité ou de leur paresse,
trouvant plus commode de vivre aux dépens de leurs dupes. La
religion chrétienne n'a pas été à l'abri de ces parasites. A
ce sujet, nous appelons une attention sérieuse sur le chapitre
XXI de lEvangile selon le Spiritisme : «Il y aura de faux
Christs et de faux prophètes.»
9. - Y a-t-il des révélations directes de
Dieu aux hommes ? C'est une question que nous n'oserions
résoudre, ni affirmativement ni négativement, d'une manière
absolue. La chose n'est point radicalement impossible, mais rien
n'en donne la preuve certaine. Ce qui ne saurait être douteux,
c'est que les Esprits les plus rapprochés de Dieu par la
perfection se pénètrent de sa pensée et peuvent la
transmettre. Quant aux révélateurs incarnés, selon l'ordre
hiérarchique auquel ils appartiennent et le degré de leur
savoir personnel, ils peuvent puiser leurs instructions dans
leurs propres connaissances, ou les recevoir d'Esprits plus
élevés, voire des messagers directs de Dieu. Ceux-ci, parlant
au nom de Dieu, ont pu parfois être pris pour Dieu
lui-même.
Ces sortes de communications n'ont rien
d'étrange pour quiconque connaît les phénomènes spirites et
la manière dont s'établissent les rapports entre les incarnés
et les désincarnés. Les instructions peuvent être transmises
par divers moyens : par l'inspiration pure et simple, par
l'audition de la parole, par la vue des Esprits instructeurs dans
les visions et apparitions, soit en rêve, soit à l'état de
veille, ainsi qu'on en voit maints exemples dans la Bible,
lEvangile et dans les livres sacrés de tous les peuples.
Il est donc rigoureusement exact de dire que la plupart des
révélateurs sont des médiums inspirés, auditifs ou Probants ;
d'où il ne suit pas que tous les médiums soient des
révélateurs, et encore moins les intermédiaires directs de la
Divinité ou de ses messagers.
10. - Les purs Esprits seuls reçoivent la
parole de Dieu avec mission de la transmettre ; mais on sait
maintenant que les Esprits sont loin d'être tous parfaits, et
qu'il en est qui se donnent de fausses apparences ; c'est ce qui
avait fait dire à saint Jean : «Ne croyez point à tout Esprit,
mais voyez auparavant si les Esprits sont de Dieu.» (Ep. 1°,
ch. IV, v. 4).
Il peut donc y avoir des révélations
sérieuses et vraies, comme il y en a d'apocryphes et de
mensongères. Le caractère essentiel de la révélation divine
est celui de l'éternelle vérité. Toute révélation entachée
d'erreur ou sujette à changement ne peut émaner de Dieu. C'est
ainsi que la loi du Décalogue a tous les caractères de son
origine, tandis que les autres lois mosaïques, essentiellement
transitoires, souvent en contradiction avec la loi du Sinaï,
sont l'oeuvre personnelle et politique du législateur hébreu.
Les moeurs du peuple s'adoucissant, ces lois sont d'elles-mêmes
tombées en désuétude, tandis que le Décalogue est resté
debout comme le phare de lhumanité. Le Christ en a fait la
base de son édifice, tandis qu'il a aboli les autres lois. Si
elles eussent été l'oeuvre de Dieu, il se serait gardé d'y
toucher. Le Christ et Moïse sont les deux grands révélateurs
qui ont changé la face du monde, et là est la preuve de leur
mission divine. Une oeuvre purement humaine n'aurait pas un tel
pouvoir.
11. - Une importante révélation s'accomplit
à l'époque actuelle : c'est celle qui nous montre la
possibilité de communiquer avec les êtres du monde spirituel.
Cette connaissance n'est point nouvelle, sans doute ; mais elle
était restée jusqu'à nos jours en quelque sorte à
létat de lettre morte, c'est-à-dire sans profit pour
l'humanité. L'ignorance des lois qui régissent ces rapports
l'avait étouffée sous la superstition : l'homme était
incapable d'en tirer aucune déduction salutaire ; il était
réservé à notre époque de la débarrasser de ses accessoires
ridicules, d'en comprendre la portée, et d'en faire sortir la
lumière qui devait éclairer la route de l'avenir.
12. - Le Spiritisme, nous ayant fait
connaître le monde invisible qui nous entoure et au milieu
duquel nous vivions sans nous en douter, les lois qui le
régissent, ses rapports avec le monde visible, la nature et
l'état des êtres qui l'habitent, et par suite la destinée de
l'homme après la mort, c'est une véritable révélation, dans
l'acception scientifique du mot.13. - Par sa nature, la
révélation spirite a un double caractère : elle tient à la
fois de la révélation divine et de la révélation
scientifique. Elle tient de la première, en ce que son
avènement est providentiel, et non le résultat de l'initiative
et d'un dessein prémédité de l'homme ; que les points
fondamentaux de la doctrine sont le fait de l'enseignement donné
par les Esprits chargés par Dieu d'éclairer les hommes sur des
choses qu'ils ignoraient, qu'ils ne pouvaient apprendre par
eux-mêmes, et qu'il leur importe connaître, aujourd'hui qu'ils
sont murs pour les comprendre. Elle tient de la seconde, en ce
que cet enseignement n'est le privilège daucun individu,
mais qu'il est donné à tout le monde par la même voie ; que
ceux qui le transmettent et ceux qui le reçoivent ne sont point
des êtres passifs, dispensés du travail d'observation et de
recherche ; qu'ils ne font point abnégation de leur jugement et
de leur libre arbitre ; que le contrôle ne leur est point
interdit, mais au contraire recommandé ; enfin, que la doctrine
n'a point été dictée de toutes pièces ni imposée à la
croyance aveugle ; qu'elle est déduite par le travail de
l'homme, de l'observation des faits que les Esprits mettent sous
ses yeux, et des instructions qu'ils lui donnent, instructions
qu'il étudie, commente, compare, et dont il tire lui-même les
conséquences et les applications. En un mot, ce qui caractérise
la révélation spirite, c'est que la source en est divine, que
linitiative appartient aux Esprits, et que
lélaboration est le fait du travail de l'homme.
14. - Comme moyen d'élaboration, le
Spiritisme procède exactement de la même manière que les
sciences positives, c'est-à-dire qu'il applique la méthode
expérimentale. Des faits d'un ordre nouveau se présentent qui
ne peuvent s'expliquer par les lois connues ; il les observe, les
compare, les analyse, et, des effets remontant aux causes, il
arrive à la loi qui les régit ; puis il en déduit les
conséquences et en cherche les applications utiles. Il
n'établit aucune théorie préconçue ; ainsi, il n'a posé
comme hypothèses, ni lexistence et l'intervention des
Esprits, ni le périsprit, ni la réincarnation, ni aucun des
principes de la doctrine ; il a conclu à l'existence des Esprits
lorsque cette existence est ressortie avec évidence de
lobservation des faits ; et ainsi des autres principes. Ce
ne sont point les faits qui sont venus après coup confirmer la
théorie, mais la théorie qui est venue subséquemment expliquer
et résumer les faits. Il est donc rigoureusement exact de dire
que le Spiritisme est une science d'observations, et non le
produit de l'imagination. Les sciences n'ont fait de progrès
sérieux que depuis que leur étude est basée sur la méthode
expérimentale ; mais jusqu'à ce jour on a cru que cette
méthode n'était applicable qu'à la matière, tandis qu'elle
l'est également aux choses métaphysiques.
15. - Citons un exemple. Il se passe, dans le
monde des Esprits, un fait très singulier, et qu'assurément
personne n'aurait soupçonné, c'est celui des Esprits qui ne se
croient pas morts. Eh bien ! les Esprits supérieurs, qui le
connaissent parfaitement, ne sont point venus dire par
anticipation : «Il y a des Esprits qui croient encore vivre de
la vie terrestre ; qui ont conservé leurs goûts, leurs
habitudes et leurs instincts ;» mais ils ont provoqué la
manifestation d'Esprits de cette catégorie pour nous les faire
observer. Ayant donc vu des Esprits incertains de leur état, ou
affirmant qu'ils étaient encore de ce monde, et croyant vaquer
à leurs occupations ordinaires, de l'exemple on a conclu à la
règle. La multiplicité des faits analogues a prouvé que ce
n'était point une exception, mais une des phases de la vie
spirite ; elle a permis d'étudier toutes les variétés et les
causes de cette singulière illusion ; de reconnaître que cette
situation est surtout le propre des Esprits peu avancés
moralement, et qu'elle est particulière à certains genres de
mort ; qu'elle n'est que temporaire, mais peut durer des jours,
des mois et des années. C'est ainsi que la théorie est née de
l'observation. Il en est de même de tous les autres principes de
la doctrine.
16. - De même que la science proprement dite
a pour objet l'étude des lois du principe matériel, l'objet
spécial du Spiritisme est la connaissance des lois du principe
spirituel ; or, comme ce dernier principe est une des forces de
la nature, qu'il réagit incessamment sur le principe matériel
et réciproquement, il en résulte que la connaissance de l'un ne
peut être complète sans la connaissance de l'autre. Le
Spiritisme et la science se complètent l'un par l'autre : la
science sans le Spiritisme se trouve dans l'impuissance
d'expliquer certains phénomènes par les seules lois de la
matière ; le Spiritisme sans la science manquerait d'appui et de
contrôle. Létude des lois de la matière devait
précéder celle de la spiritualité, parce que c'est la matière
qui frappe tout d'abord les sens. Le Spiritisme venu avant les
découvertes scientifiques eût été une oeuvre avortée, comme
tout ce qui vient avant son temps.
17. - Toutes les sciences s'enchaînent et se
succèdent dans un ordre rationnel ; elles naissent les unes des
autres, à mesure qu'elles trouvent un point d'appui dans les
idées et dans les connaissances antérieures. L'astronomie,
l'une des premières qui aient été cultivées, est restée dans
les erreurs de l'enfance jusqu'au moment où la physique est
venue révéler la loi des forces des agents naturels ; la
chimie, ne pouvant lien sans la physique, devait lui succéder de
près, pour ensuite marcher toutes deux de concert en s'appuyant
l'une sur l'autre. L'anatomie, la physiologie, la zoologie, la
botanique, la minéralogie ne sont devenues des sciences
sérieuses qu'à l'aide des lumières apportées par la physique
et la chimie. La géologie, née d'hier, sans l'astronomie, la
physique, la chimie et toutes les autres, eût manqué de ses
véritables éléments de vitalité ; elle ne pouvait venir
qu'après.
18. - La science moderne a fait justice des
quatre éléments primitifs des Anciens, et d'observation en
observation, elle est arrivée à la conception d'un seul
élément générateur de toutes les transformations de la
matière ; mais la matière, par elle-même, est inerte ; elle
n'a ni vie, ni pensée, ni sentiment ; il lui faut son union avec
le principe spirituel. Le Spiritisme n'a ni découvert ni
inventé ce principe, mais, le premier, il l'a démontré par des
preuves irrécusables ; il l'a étudié, analysé, et en a rendu
l'action évidente. A l'élément matériel, il est venu ajouter
l'élément spirituel. Elément matériel et élément spirituel,
voilà les deux principes, les deux forces vives de la nature.
Par l'union indissoluble de ces deux éléments, on explique sans
peine une foule de faits jusqu'alors inexplicables (1).
Le Spiritisme, ayant pour objet l'étude de
l'un des deux éléments constitutifs de l'univers, touche
forcément à la plupart des sciences ; il ne pouvait venir
qu'après leur élaboration, et il est né, par la force des
choses, de l'impossibilité de tout expliquer à l'aide des
seules lois de la matière.
19. - On accuse le Spiritisme de parenté avec
la magie et la sorcellerie ; mais on oublie que lastronomie
a pour aînée l'astrologie judiciaire, qui n'est pas si
éloignée de nous ; que la chimie est fille de l'alchimie, dont
aucun homme sensé n'oserait s'occuper aujourd'hui. Personne ne
nie, cependant, qu'il y eût dans l'astrologie et l'alchimie le
germe des vérités d'où sont sorties les sciences actuelles.
Malgré ses formules ridicules, l'alchimie a mis sur la voie des
corps simples et de la loi des affinités ; l'astrologie
s'appuyait sur la position et le mouvement des astres qu'elle
avait étudiés ; mais dans l'ignorance des véritables lois qui
régissent le mécanisme de l'univers, les astres étaient, pour
le vulgaire, des êtres mystérieux auxquels la superstition
prêtait une influence morale et un sens révélateur. Lorsque
Galilée, Newton, Kepler eurent fait connaître ces lois, que le
télescope eut déchiré le voile et plongé dans les profondeurs
de l'espace un regard que certaines gens trouvèrent indiscret,
les planètes nous apparurent comme de simples mondes semblables
au nôtre, et tout l'échafaudage du merveilleux
s'écroula.
Il en est de même du Spiritisme à l'égard
de la magie et de la sorcellerie ; celles-ci s'appuyaient aussi
sur la manifestation des Esprits, connue l'astrologie sur le
mouvement des astres ; mais, dans lignorance des lois qui
régissent le monde spirituel, elles mêlaient à ces rapports
des pratiques et des croyances ridicules, dont le Spiritisme
moderne, fruit de l'expérience et de l'observation, a fait
justice. Assurément, la distance qui sépare le Spiritisme de la
magie et de la sorcellerie est plus grande que celle qui existe
entre l'astronomie et l'astrologie, la chimie et l'alchimie ;
vouloir les confondre, c'est prouver qu'on n'en sait pas le
premier mot.
20. - Le seul fait de la possibilité de
communiquer avec les êtres du monde spirituel a des
conséquences incalculables de la plus haute gravité ; c'est
tout un monde nouveau qui se révèle à nous, et qui a d'autant
plus d'importance, qu'il atteint tous les hommes sans exception.
Cette connaissance ne peut manquer d'apporter, en se
généralisant, une modification profonde dans les moeurs, le
caractère, les habitudes et dans les croyances qui ont une si
grande influence sur les rapports sociaux. C'est toute une
révolution qui s'opère dans les idées, révolution d'autant
plus grande, d'autant plus puissante, qu'elle n'est pas
circonscrite à un peuple, à une caste, mais qu'elle atteint
simultanément par le coeur toutes les classes, toutes les
nationalités, tous les cultes.
C'est donc avec raison que le Spiritisme est
considéré comme la troisième des grandes révélations. Voyons
en quoi ces révélations diffèrent, et par quel lien elles se
rattachent l'une à l'autre.
21. - Moïse, comme prophète, a révélé aux
hommes la connaissance d'un Dieu unique, souverain Maître et
Créateur de toutes choses ; il a promulgué la loi du Sinaï et
posé les fondements de la véritable foi ; comme homme, il a
été le législateur du peuple par lequel cette foi primitive,
en s'épurant, devait un jour se répandre sur toute la
terre.
22. - Le Christ, prenant de l'ancienne loi ce
qui est éternel et divin, et rejetant ce qui n'était que
transitoire, purement disciplinaire et de conception humaine,
ajoute la révélation de la vie future, dont Moïse n'avait
point parlé, celle des peines et des récompenses qui attendent
l'homme après la mort. (Voir Revue Spirite, 1861, pages 90 et
280).
23. - La partie la plus importante de la
révélation du Christ, en ce sens qu'elle est la source
première, la pierre angulaire de toute sa doctrine, c'est le
point de vue tout nouveau sous lequel il fait envisager la
Divinité. Ce n'est plus le Dieu terrible, jaloux, vindicatif de
Moïse, le Dieu cruel et impitoyable qui arrose la terre du sang
humain, qui ordonne le massacre et l'extermination des peuples,
sans excepter les femmes, les enfants et les vieillards, qui
châtie ceux qui épargnent les victimes ; ce n'est plus le Dieu
injuste qui punit tout un peuple pour la faute de son chef, qui
se venge du coupable sur la personne de l'innocent, qui frappe
les enfants pour la faute de leur père ; mais un Dieu clément,
souverainement juste et bon, plein de mansuétude et de
miséricorde, qui pardonne au pécheur repentant et rend à
chacun selon ses oeuvres ; ce n'est plus le Dieu d'un seul peuple
privilégié, le Dieu des armées présidant aux combats pour
soutenir sa propre cause contre le Dieu des autres peuples, mais
le Père commun du genre humain, qui étend sa protection sur
tous ses enfants et les appelle tous à lui ; ce n'est plus le
Dieu qui récompense et punit par les seuls biens de la terre,
qui fait consister la gloire et le bonheur dans l'asservissement
des peuples rivaux et dans la multiplicité de la progéniture,
mais qui dit aux hommes : «Votre véritable patrie n'est pas en
ce monde, elle est dans le royaume céleste ; c'est là que les
humbles de coeur seront élevés et que les orgueilleux seront
abaissés.» Ce n'est plus le Dieu qui fait une vertu de la
vengeance et ordonne de rendre oeil pour oeil, dent pour dent ;
mais le Dieu de miséricorde qui dit : «Pardonnez les offenses,
si vous voulez qu'il vous soit pardonné ; rendez le bien pour le
mal ; ne faites point à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on
vous fît.» Ce n'est plus le Dieu mesquin et méticuleux qui
impose, sous les peines les plus rigoureuses, la manière dont il
veut être adoré, qui s'offense de l'inobservance d'une formule
; mais le Dieu grand qui regarde la pensée et ne s'honore pas de
la forme. Ce n'est plus, enfin, le Dieu qui veut être craint,
mais le Dieu qui veut être aimé.
24. - Dieu étant le pivot de toutes les
croyances religieuses, le but de tous les cultes, le caractère
de toutes les religions est conforme à l'idée qu'elles donnent
de Dieu. Les religions qui en font un Dieu vindicatif et cruel
croient l'honorer par des actes de cruauté, par les bûchers et
les tortures ; celles qui en font un Dieu partial et jaloux sont
intolérantes ; elles sont plus ou moins méticuleuses dans la
forme, selon qu'elles le croient plus ou moins entaché des
faiblesses et des petitesses humaines.
25. - Toute la doctrine du Christ est fondée
sur le caractère qu'il attribue à la Divinité. Avec un Dieu
impartial, souverainement juste, bon et miséricordieux, il a pu
faire de l'amour de Dieu et de la charité envers le prochain la
condition expresse du salut, et dire : Aimez Dieu par-dessus
toutes choses, et votre prochain comme vous-mêmes ; c'est là
toute la loi et les prophètes, il n'y en a pas d'autre. Sur
cette croyance seule, il a pu asseoir le principe de l'égalité
des hommes devant Dieu, et de la fraternité universelle. Mais
était-il possible d'aimer ce Dieu de Moïse ? Non ; on ne
pouvait que le craindre.
Cette révélation des véritables attributs
de la Divinité, jointe à celle de l'immortalité de lâme
et de la vie future, modifiait profondément les rapports mutuels
des hommes, leur imposait de nouvelles obligations, leur faisait
envisager la vie présente sous un autre jour ; elle devait, par
cela même, réagir sur les moeurs et les relations sociales.
C'est incontestablement, par ses conséquences, le point le plus
capital de la révélation du Christ, et dont on n'a pas assez
compris l'importance ; il est regrettable de le dire, c'est aussi
le point dont on s'est le plus écarté, que l'on a le plus
méconnu dans l'interprétation de ses enseignements.
26. - Cependant le Christ ajoute : «Beaucoup
ces choses que je vous dis, vous ne pouvez encore les comprendre,
et j'en aurais beaucoup d'autres à vous dire que vous ne
comprendriez pas ; c'est pourquoi je vous parle en paraboles ;
mais, plus tard, je vous enverrai le Consolateur, l'Esprit de
Vérité, qui rétablira toutes choses et vous les expliquera
toutes.» (Jean, ch. XIV, XVI ; Matth., ch. XVII.)
Si le Christ n'a pas dit tout ce qu'il aurait
pu dire, c'est qu'il a cru devoir laisser certaines vérités
dans l'ombre jusqu'à ce que les hommes fussent en état de les
comprendre. De son aveu, son enseignement était donc incomplet,
puisqu'il annonce la venue de celui qui doit le compléter ; il
prévoyait donc qu'on se méprendrait sur ses paroles, qu'on
dévierait de son enseignement ; en un mot, qu'on déferait ce
qu'il a fait, puisque toute chose doit être rétablie ; or on ne
rétablit que ce qui a été défait.
27. - Pourquoi appelle-t-il le nouveau Messie
Consolateur ? Ce nom significatif et sans ambiguïté est toute
une révélation. Il prévoyait donc que les hommes auraient
besoin de consolations, ce qui implique l'insuffisance de celles
qu'ils trouveraient dans la croyance qu'ils allaient se faire.
Jamais peut-être Christ n'a été plus clair et plus explicite
que dans ces dernières paroles, auxquelles peu de personnes ont
pris garde, peut-être parce qu'on a évité de les mettre en
lumière et d'en approfondir le sens prophétique.
28. - Si le Christ n'a pu développer son
enseignement d'une manière complète, c'est qu'il manquait aux
hommes des connaissances que ceux-ci ne pouvaient acquérir
qu'avec le temps, et sans lesquelles ils ne pouvaient le
comprendre ; il est des choses qui eussent paru un non-sens dans
l'état des connaissances d'alors. Compléter son enseignement
doit donc s'entendre dans le sens d'expliquer et de développer,
bien plus que dans celui d'y ajouter des vérités nouvelles, car
tout s'y trouve en germe ; seulement, il manquait la clef pour
saisir le sens de ses paroles.
29. - Mais qui ose se permettre d'interpréter
les Ecritures sacrées ? Qui a ce droit ? Qui possède les
lumières nécessaires, si ce ne sont les théologiens ?
Qui l'ose ? La science d'abord, qui ne demande
de permission à personne pour faire connaître les lois de la
nature, et saute à pieds joints sur les erreurs et les
préjugés. - Qui a ce droit ? Dans ce siècle d'émancipation
intellectuelle et de liberté de conscience, le droit d'examen
appartient à tout le monde, et les Ecritures ne sont plus
l'arche sainte à laquelle nul n'oserait toucher du doigt sans
risquer d'être foudroyé. Quant aux lumières spéciales
nécessaires, sans contester celles des théologiens, et quelque
éclairés que fussent ceux du moyen âge, et en particulier les
Pères de l'Église, ils ne l'étaient cependant point encore
assez pour ne pas condamner, comme hérésie, le mouvement de la
terre et la croyance aux antipodes ; et, sans remonter si haut,
ceux de nos jours nont-ils pas jeté l'anathème aux
périodes de la formation de la terre ?
Les hommes n'ont pu expliquer les Ecritures
qu'à l'aide de ce qu'ils savaient, des notions fausses ou
incomplètes qu'ils avaient sur les lois de la nature, plus tard
révélées par la science : voilà pourquoi les théologiens
eux-mêmes ont pu, de très bonne foi, se méprendre sur le sens
de certaines paroles et de certains faits de l'Evangile. Voulant
à tout prix y trouver la confirmation d'une pensée préconçue,
ils tournaient toujours dans le même cercle, sans quitter leur
point de vue, de telle sorte qu'ils n'y voyaient que ce qu'ils
voulaient y voir. Tout savants théologiens qu'ils étaient, ils
ne pouvaient comprendre les causes dépendant de lois qu'ils ne
connaissaient pas.
Mais qui sera juge des interprétations
diverses et souvent contradictoires, données en dehors de la
théologie ? - L'avenir, la logique et le bon sens. Les hommes,
de plus en plus éclairés à mesure que de nouveaux faits et de
nouvelles lois viendront se révéler, sauront faire la part des
systèmes utopiques et de la réalité ; or la science fait
connaître certaines lois ; le Spiritisme en fait connaître
d'autres ; les unes et les autres sont indispensables à
l'intelligence des textes sacrés de toutes les religions, depuis
Confucius et le Bouddha jusqu'au Christianisme. Quant à la
théologie, elle ne saurait judicieusement exciper des
contradictions de la science, alors qu'elle n'est pas toujours
d'accord avec elle-même.
30. - Le SPIRITISME, prenant son point de
départ dans les paroles mêmes du Christ, comme le Christ a pris
le sien dans Moïse, est une conséquence directe de sa
doctrine.
A l'idée vague de la vie future, il ajoute la
révélation de l'existence du monde invisible qui nous entoure
et peuple l'espace, et par là il précise la croyance ; il lui
donne un corps, une consistance, une réalité dans la
pensée.
Il définit les liens qui unissent l'âme et
le corps, et lève le voile qui cachait aux hommes les mystères
de la naissance et de la mort.
Par le Spiritisme, l'homme sait d'où il
vient, où il va, pourquoi il est sur la terre, pourquoi il y
souffre temporairement, et il voit partout la justice de
Dieu.
Il sait que l'âme progresse sans cesse à
travers une série d'existences successives, jusqu'à ce qu'elle
ait atteint le degré de perfection qui peut la rapprocher de
Dieu.
Il sait que toutes les âmes, ayant un même
point de départ, sont créées égales, avec une même aptitude
à progresser, en vertu de leur libre arbitre ; que toutes sont
de même essence, et qu'il n'y a entre elles que la différence
du progrès accompli ; que toutes ont la même destinée et
atteindront le même but, plus ou moins promptement selon leur
travail et leur bonne volonté.
Il sait qu'il n'y a point de créatures
déshéritées, ni plus favorisées les unes que les autres ; que
Dieu n'en a point créé qui soient privilégiées et dispensées
du travail imposé à d'autres pour progresser ; qu'il n'y a
point d'êtres perpétuellement voués au mal et à la souffrance
; que ceux désignes sous le nom de démons sont des Esprits
encore arriérés et imparfaits, qui font le mal à l'état
d'Esprits, comme ils le faisaient à l'état d'hommes, mais qui
avanceront et s'amélioreront ; que les anges ou purs Esprits ne
sont point des êtres à part dans la création, mais des Esprits
qui ont atteint le but, après avoir suivi la filière du
progrès ; qu'ainsi il n'y a pas de créations multiples, ni
différentes catégories parmi les êtres intelligents, mais que
toute la création ressort de la grande loi d'unité qui régit
l'univers, et que tous les êtres gravitent vers un but commun,
qui est la perfection, sans que les uns soient favorisés aux
dépens des autres, tous étant les fils de leurs oeuvres.
31. - Par les rapports que l'homme peut
maintenant établir avec ceux qui ont quitté la terre, il a non
seulement la preuve matérielle de l'existence et de
l'individualité de l'âme, mais il comprend la solidarité qui
relie les vivants et les morts de ce monde, et ceux de ce monde
avec ceux des autres mondes. Il connaît leur situation dans le
monde des Esprits ; il les suit dans leurs migrations ; il est
témoin de leurs joies et de leurs peines ; il sait pourquoi ils
sont heureux ou malheureux, et le sort qui l'attend lui-même
selon le bien ou le mal qu'il fait. Ces rapports l'initient à la
vie future, qu'il peut observer dans toutes ses phases, dans
toutes ses péripéties ; l'avenir n'est plus une vague
espérance : c'est un fait positif, une certitude mathématique.
Alors la mort n'a plus rien d'effrayant, car c'est pour lui la
délivrance, la porte de la véritable vie.
32. - Par l'étude de la situation des
Esprits, lhomme sait que le bonheur et le malheur dans la
vie spirituelle sont inhérents au degré de perfection et
d'imperfection ; que chacun subit les conséquences directes et
naturelles de ses fautes : autrement dit, qu'il est puni par où
il a péché ; que ces conséquences durent aussi longtemps que
la cause qui les a produites ; qu'ainsi le coupable souffrirait
éternellement s'il persistait éternellement dans le mal, mais
que la souffrance cesse avec le repentir et la réparation ; or,
comme il dépend de chacun de s'améliorer, chacun peut, en vertu
de son libre arbitre, prolonger ou abréger ses souffrances,
comme le malade souffre de ses excès aussi longtemps qu'il n'y
met pas un terme.
33. - Si la raison repousse, comme
incompatible avec la bonté de Dieu, l'idée des peines
irrémissibles, perpétuelles et absolues, souvent infligées
pour une seule faute ; des supplices de l'enfer que ne peut
adoucir le repentir le plus ardent et le plus sincère, elle
s'incline devant cette justice distributive et impartiale, qui
tient compte de tout, ne ferme jamais la porte du retour, et tend
sans cesse la main au naufragé, au lieu de le repousser dans
l'abîme.
34. - La pluralité des existences, dont le
Christ a posé le principe dans l'Évangile, mais sans plus le
définir que beaucoup d'autres, est une des lois les plus
importantes révélées par le Spiritisme, en ce sens qu'il en
démontre la réalité et la nécessité pour le progrès. Par
cette loi, l'homme s'explique toutes les anomalies apparentes que
présente la vie humaine ; les différences de position sociale ;
les morts prématurées qui, sans la réincarnation, rendraient
inutiles pour l'âme les vies abrégées ; linégalité des
aptitudes intellectuelles et morales, par l'ancienneté de
l'Esprit qui a plus ou moins appris et progressé, et qui apporte
en renaissant l'acquis de ses existences antérieures
(n°5).
35. - Avec la doctrine de la création de
l'âme à chaque naissance, on retombe dans le système des
créations privilégiées ; les hommes sont étrangers les uns
aux autres, rien ne les relie, les liens de famille sont purement
charnels : ils ne sont point solidaires d'un passé où ils
n'existaient pas ; avec celle du néant après la mort, tout
rapport cesse avec la vie ; ils ne sont point solidaires de
l'avenir. Par la réincarnation, ils sont solidaires du passé et
de l'avenir ; leurs rapports se perpétuant dans le monde
spirituel et dans le monde corporel, la fraternité a pour base
les lois mêmes de la nature ; le bien a un but, le mal a ses
conséquences inévitables.
36. - Avec la réincarnation tombent les
préjugés de races et de castes, puisque le même Esprit peut
renaître riche ou pauvre, grand seigneur ou prolétaire, maître
ou subordonné, libre ou esclave, homme ou femme. De tous les
arguments invoqués contre l'injustice de la servitude et de
l'esclavage, contre la sujétion de la femme à la loi du plus
fort, il n'en est aucun qui prime en logique le fait matériel de
la réincarnation. Si donc la réincarnation fonde sur une loi de
la nature le principe de la fraternité universelle, elle fonde
sur la même loi celui de l'Egalité des droits sociaux, et par
suite celui de la liberté.
37. - Otez à l'homme l'esprit libre,
indépendant, survivant à la matière, vous en faites une
machine organisée, sans but, sans responsabilité, sans autre
frein que la loi civile, et bonne à exploiter comme un animal
intelligent. N'attendant rien après la mort, rien ne l'arrête
pour augmenter les jouissances du présent ; s'il souffre, il n'a
en perspective que le désespoir et le néant pour refuge. Avec
la certitude de l'avenir, celle de retrouver ceux qu'il a aimés,
la crainte de revoir ceux qu'il a offensés, toutes ses idées
changent. Le Spiritisme, n'eût-il fait que tirer l'homme du
doute touchant la vie future, aurait plus fait pour son
amélioration morale que toutes les lois disciplinaires qui le
brident quelquefois, mais ne le changent pas.
38. - Sans la préexistence de l'âme, la
doctrine du pêché originel n'est pas seulement inconciliable
avec la justice de Dieu, qui rendrait tous les hommes
responsables de la faute d'un seul : elle serait un non sens, et
d'autant moins justifiable que, suivant cette doctrine, l'âme
n'existait pas à l'époque où l'on prétend faire remonter sa
responsabilité. Avec la préexistence, l'homme apporte en
renaissant le germe de ses imperfections, des défauts dont il ne
s'est pas corrigé, et qui se traduisent par ses instincts
natifs, ses propensions à tel ou tel vice. C'est là son
véritable péché originel, dont il subit tout naturellement les
conséquences, mais avec cette différence capitale qu'il porte
la peine de ses propres fautes, et non celle de la faute
dun autre ; et cette autre différence, à la fois
consolante, encourageante et souverainement équitable, que
chaque existence lui offre les moyens de se racheter par la
réparation, et de progresser, soit en se dépouillant de quelque
imperfection, soit en acquérant de nouvelles connaissances, et
cela jusqu'à ce qu'étant suffisamment purifié, il n'ait plus
besoin de la vie corporelle, et puisse vivre exclusivement de la
vie spirituelle, éternelle et bienheureuse.
Par la même raison, celui qui a progressé
moralement apporte, en renaissant, des qualités natives, comme
celui qui a progressé intellectuellement apporte des idées
innées ; il est identifié avec le bien ; il le pratique sans
efforts, sans calcul et, pour ainsi dire, sans y penser. Celui
qui est obligé de combattre ses mauvaises tendances en est
encore à la lutte : le premier a déjà vaincu, le second est en
train de vaincre. Il y a donc vertu originelle, comme il y a
savoir originel, et péché ou mieux vice originel.
39. - Le Spiritisme expérimental a étudié
les propriétés des fluides spirituels et leur action sur la
matière. Il a démontré l'existence du périsprit, soupçonné
dès l'antiquité, et désigné par saint Paul sous le nom de
Corps spirituel, c'est-à-dire de corps fluidique de l'âme
après la destruction du corps tangible. On sait aujourd'hui que
cette enveloppe est inséparable de l'âme ; qu'elle est un des
éléments constitutifs de l'être humain ; qu'elle est le
véhicule de transmission de la pensée, et que, pendant la vie
du corps, elle sert de lien entre l'Esprit et la matière. Le
périsprit joue un rôle si important dans l'organisme et dans
une foule d'affections, qu'il se lie à la physiologie aussi bien
qu'à la psychologie.
40. - L'étude des propriétés du périsprit,
des fluides spirituels et des attributs physiologiques de l'âme,
ouvre de nouveaux horizons à la science, et donne la clef d'une
foule de phénomènes incompris jusqu'alors faute de connaître
la loi qui les régit ; phénomènes niés par le matérialisme,
parce qu'ils se rattachent à la spiritualité, qualifiés par
d'autres de miracles ou de sortilèges, selon les croyances. Tels
sont, entre autres, les phénomènes de la double vue, de la vue
à distance, du somnambulisme naturel et artificiel, des effets
psychiques de la catalepsie et de la léthargie, de la
prescience, des pressentiments, des apparitions, des
transfigurations, de la transmission de pensée, de la
fascination, des guérisons instantanées, des obsessions et
possessions, etc.. En démontrant que ces phénomènes reposent
sur des lois aussi naturelles que les phénomènes électriques,
et les conditions normales dans lesquelles ils peuvent se
reproduire, le Spiritisme détruit l'empire du merveilleux et du
surnaturel, et par suite la source de la plupart des
superstitions. S'il fait croire à la possibilité de certaines
choses regardées par quelques-uns comme chimériques, il
empêche de croire à beaucoup d'autres dont il démontre
l'impossibilité et l'irrationalité.
41. - Le Spiritisme, bien loin de nier ou de
détruire l'Évangile, vient au contraire confirmer, expliquer et
développer, par les nouvelles lois de nature qu'il révèle,
tout ce qu'a dit et fait le Christ ; il porte la lumière sur les
points obscurs de son enseignement, de telle sorte que ceux pour
qui certaines parties de l'Évangile étaient inintelligibles, ou
semblaient inadmissibles, les comprennent sans peine à l'aide du
Spiritisme, et les admettent ; ils en voient mieux la portée, et
peuvent faire la part de la réalité et de l'allégorie ; le
Christ leur paraît plus grand : ce n'est plus simplement un
philosophe, c'est un Messie divin.
42. - Si l'on considère, en outre, la
puissance moralisatrice du Spiritisme par le but qu'il assigne à
toutes les actions de la vie, par les conséquences du bien et du
mal qu'il fait toucher du doigt ; la force morale, le courage,
les consolations qu'il donne dans les afflictions par une
inaltérable confiance en l'avenir, par la pensée d'avoir près
de soi les êtres que l'on a aimés, l'assurance de les revoir,
la possibilité de s'entretenir avec eux, enfin par la certitude
que de tout ce que l'on fait, de tout ce que l'on acquiert en
intelligence, en science, en moralité, jusqu'à la dernière
heure de la vie, rien n'est perdu, que tout profite à
l'avancement, on reconnaît que le Spiritisme réalise toutes les
promesses du Christ à l'égard du Consolateur annoncé. Or,
comme c'est l'Esprit de Vérité qui préside au grand mouvement
de la régénération, la promesse de son avènement se trouve de
même réalisée, car, par le fait, c'est lui qui est le
véritable Consolateur (2).
43. - Si, à ces résultats, on ajoute la
rapidité inouïe de la propagation du Spiritisme, malgré tout
ce qu'on a fait pour l'abattre, on ne peut disconvenir que sa
venue ne soit providentielle, puisqu'il triomphe de toutes les
forces et de toutes les mauvaises volontés humaines. La
facilité avec laquelle il est accepté par un si grand nombre,
et cela sans contrainte, sans autres moyens que la puissance de
l'idée, prouve qu'il répond à un besoin, celui de croire à
quelque chose, après le vide creusé par l'incrédulité, et
que, par conséquent, il est venu en son temps.
44. - Les affligés sont en grand nombre ; il
n'est donc pas surprenant que tant de gens accueillent une
doctrine qui console, de préférence aux doctrines qui
désespèrent, car c'est aux déshérités, plus qu'aux heureux
du monde, que s'adresse le Spiritisme. Le malade voit venir le
médecin avec plus de joie que celui qui se porte bien ; or les
affligés sont des malades, et le Consolateur est le
médecin.
Vous qui combattez le Spiritisme, si vous
voulez qu'on le quitte pour vous suivre, donnez donc plus et
mieux que lui ; guérissez plus sûrement les blessures de
l'âme. Donnez plus de consolations, plus de satisfactions du
coeur, des espérances plus légitimes, des certitudes plus
grandes ; faites de l'avenir un tableau plus rationnel, plus
séduisant ; mais ne pensez pas l'emporter, vous, avec la
perspective du néant ; vous avec l'alternative des flammes de
l'enfer ou de la béate et inutile contemplation
perpétuelle.
45. - La première révélation était
personnifiée dans Moïse, la seconde dans le Christ, la
troisième ne l'est dans aucun individu. Les deux premières sont
individuelles, la troisième est collective ; c'est là un
caractère essentiel d'une grande importance. Elle est collective
en ce sens, qu'elle n'a été faite par privilège à personne ;
que personne, par conséquent, ne peut s'en dire le prophète
exclusif. Elle a été faite simultanément sur toute la terre,
à des millions de personnes, de tous âges et de toutes
conditions, depuis le plus bas jusqu'au plus haut de l'échelle,
selon cette prédiction rapportée par l'auteur des Actes des
apôtres : «Dans les derniers temps, dit le Seigneur, je
répandrai de mon esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles
prophétiseront ; vos jeunes gens auront des visions, et vos
vieillards auront des songes.» (Actes, ch. II, v. 17, 18). Elle
n'est sortie d'aucun culte spécial, afin de servir un jour à
tous de point de ralliement (3).
46. - Les deux premières révélations étant
le produit d'un enseignement personnel, ont été forcément
localisées, c'est-à-dire qu'elles ont eu lieu sur un seul
point, autour duquel l'idée s'est répandue de proche en proche
; mais il a fallu bien des siècles pour qu'elles atteignissent
les extrémités du monde, sans même l'envahir tout entier. La
troisième a cela de particulier, que n'étant pas personnifiée
dans un individu, elle s'est produite simultanément sur des
milliers de points différents, qui tous sont devenus des centres
ou foyers de rayonnement. Ces centres se multiplient, leurs
rayons se rejoignent peu à peu, comme les cercles formés par
une multitude de pierres jetées dans l'eau ; de telle sorte,
qu'en un temps donné, ils finiront par couvrir la surface
entière du globe.
Telle est une des causes de la rapide
propagation de la doctrine. Si elle eût surgi sur un seul point,
si elle eût été l'oeuvre exclusive d'un homme, elle aurait
formé secte autour de lui ; mais un demi-siècle se serait
peut-être écoulé allant qu'elle eût atteint les limites du
pays où elle aurait pris naissance, tandis qu'après dix ans,
elle a des jalons plantés d'un pôle à l'autre.
47. - Cette circonstance, inouïe dans
l'histoire des doctrines, donne à celle-ci une force
exceptionnelle et une puissance d'action irrésistible ; en
effet, si on la comprime sur un point, dans un pays, il est
matériellement impossible de la comprimer sur tous les points,
dans tous les pays. Pour un endroit où elle sera entravée, il y
en aura mille à côté où elle fleurira. Bien plus, si on
l'atteint dans un individu, on ne peut l'atteindre dans les
Esprits qui en sont la source. Or, comme les Esprits sont
partout, et qu'il y en aura toujours, si, par impossible, on
parvenait à létouffer sur tout le globe, elle
reparaîtrait quelque temps après, parce qu'elle repose sur un
fait, que ce fait est dans la nature, et qu'on ne peut supprimer
les lois de la nature. Voilà ce dont doivent se persuader ceux
qui rêvent l'anéantissement du Spiritisme. (Revue spirite,
février 1865, p. 38 : Perpétuité du spiritisme).
48. - Cependant, ces centres disséminés
auraient pu rester encore longtemps isolés les uns des autres,
confinés que sont quelques-uns dans les pays lointains. Il
fallait entre eux un trait d'union qui les mît en communion de
pensées avec leurs frères en croyance, en leur apprenant ce qui
se faisait ailleurs. Ce trait d'union, qui aurait manqué au
Spiritisme dans l'antiquité, se trouve dans les publications qui
vont partout, qui condensent, sous une forme unique, concise et
méthodique, l'enseignement donné partout sous des formes
multiples et dans des langues diverses.
49. - Les deux premières révélations ne
pouvaient être que le résultat d'un enseignement direct ; elles
devaient s'imposer à la foi par l'autorité de la parole du
maître, les hommes n'étant pas assez avancés pour concourir à
leur élaboration.
Remarquons, toutefois, entre elles une nuance
bien sensible qui tient au progrès des moeurs et des idées,
bien qu'elles aient été faites chez le même peuple et dans le
même milieu, mais à près de dix-huit siècles d'intervalle. La
doctrine de Moïse est absolue, despotique ; elle n'admet pas de
discussion et s'impose à tout le peuple par la force. Celle de
Jésus est essentiellement conseillère ; elle est librement
acceptée et ne s'impose que par la persuasion ; elle est
controversée du vivant même de son fondateur, qui ne dédaigne
pas de discuter avec ses adversaires.
50. - La troisième révélation, venue à une
époque d'émancipation et de maturité intellectuelle, où
l'intelligence développée ne peut se résoudre à un rôle
passif, où l'homme n'accepte rien en aveugle, mais veut voir où
on le conduit, savoir le pourquoi et le comment de chaque chose,
devait être à la fois le produit d'un enseignement et le fruit
du travail, de la recherche et du libre examen. Les Esprits
n'enseignent que juste ce qu'il faut pour mettre sur la voie de
la vérité, mais ils s'abstiennent de révéler ce que l'homme
peut trouver par lui-même, lui laissant le soin de discuter, de
contrôler et de soumettre le tout au creuset de la raison, le
laissant même souvent acquérir l'expérience à ses dépens.
Ils lui donnent le principe, les matériaux : à lui d'en tirer
profit et de les mettre eu oeuvre. (n° 13).
51. - Les éléments de la révélation
spirite ayant été donnés simultanément, sur une multitude de
points, à des hommes de toutes conditions sociales et de divers
degrés d'instruction, il est bien évident que les observations
ne pouvaient être faites partout avec le même fruit ; que les
conséquences à en tirer, la déduction des lois qui régissent
cet ordre de phénomènes, en un mot la conclusion qui devait
asseoir les idées, ne pouvait sortir que de lensemble et
de la corrélation des faits. Or, chaque centre isolé,
circonscrit dans un cercle restreint, ne voyant, le plus souvent,
qu'un ordre particulier de faits quelquefois en apparence
contradictoires, n'ayant généralement affaire qu'à une même
catégorie d'Esprits, et, de plus, entravé par les influences
locales et l'esprit de parti, se trouvait dans l'impossibilité
matérielle d'embrasser l'ensemble, et, par cela même,
impuissant à rattacher les observations isolées à un principe
commun. Chacun appréciant les faits au point de vue de ses
connaissances et de ses croyances antérieures, ou de l'opinion
particulière des Esprits qui se manifestent, il y aurait eu
bientôt autant de théories et de systèmes que de centres, et
dont aucun n'aurait pu être complet, faute d'éléments de
comparaison et de contrôle. En un mot, chacun se serait
immobilisé dans sa révélation partielle, croyant avoir toute
la vérité, faute de savoir qu'en cent autres endroits on
obtenait plus ou mieux.
52. - En outre, il est à remarquer que nulle
part l'enseignement spirite n'a été donné d'une manière
complète ; il touche à un si grand nombre d'observations, à
des sujets si divers qui exigent soit des connaissances, soit des
aptitudes médianimiques spéciales, qu'il eût été impossible
de réunir sur un même point toutes les conditions nécessaires.
L'enseignement devant être collectif et non individuel, les
Esprits ont divisé le travail en disséminant les sujets
d'étude et d'observation, comme, dans certaines fabriques, la
confection de chaque partie d'un même objet est répartie entre
différents ouvriers.
La révélation s'est ainsi faite
partiellement, en divers lieux et par une multitude
d'intermédiaires, et c'est de cette manière qu'elle se poursuit
encore en ce moment, car tout n'est pas révélé. Chaque centre
trouve, dans les autres centres, le complément de ce qu'il
obtient, et c'est l'ensemble, la coordination de tous les
enseignements partiels qui ont constitué la doctrine
spirite.
Il était donc nécessaire de grouper les
faits épars pour voir leur corrélation, de rassembler les
documents divers, les instructions données par les Esprits sur
tous les points et sur tous les sujets, pour les comparer, les
analyser, en étudier les analogies et les différences. Les
communications étant données par des Esprits de tous ordres,
plus ou moins éclairés, il fallait apprécier le degré de
confiance que la raison permettait de leur accorder, distinguer
les idées systématiques individuelles et isolées de celles qui
avaient la sanction de l'enseignement général des Esprits, les
utopies des idées pratiques ; élaguer celles qui étaient
notoirement démenties par les données de la science positive et
la saine logique, utiliser également les erreurs, les
renseignements fournis par les Esprits, même du plus bas étage,
pour la connaissance de l'état du monde invisible, et en former
un tout homogène. Il fallait, en un mot, un centre
d'élaboration, indépendant de toute idée préconçue, de tout
préjugé de secte, résolu d'accepter la vérité devenue
évidente, dût-elle être contraire à ses opinions
personnelles. Ce centre s'est formé de lui-même, par la force
des choses, et sans dessein prémédité (4).
53. - De cet état de choses, il est résulté
un double courant d'idées : les unes allant des extrémités au
centre, les autres retournant du centre à la circonférence.
C'est ainsi que la doctrine a promptement marché vers l'unité,
malgré la diversité des sources d'où elle est émanée ; que
les systèmes divergents sont peu à peu tombés, par le fait de
leur isolement, devant l'ascendant de l'opinion de la majorité,
faute d'y trouver des échos sympathiques. Une communion de
pensées s'est dès lors établie entre les différents centres
partiels ; parlant la même langue spirituelle, ils se
comprennent et sympathisent d'un bout au monde à l'autre.
Les Spirites se sont trouvés plus forts, ils
ont lutté avec plus de courage, ils ont marché d'un pas plus
assuré, quand ils ne se sont plus vus isolés, quand ils ont
senti un point d'appui, un lien qui les rattachait à la grande
famille ; les phénomènes dont ils étaient témoins ne leur ont
plus semblé étranges, anormaux, contradictoires, quand ils ont
pu les rattacher à des lois générales d'harmonie, embrasser
d'un coup d'oeil l'édifice, et voir à tout cet ensemble un but
grand et humanitaire (5).
Mais comment savoir si un principe est
enseigné partout, ou s'il n'est que le résultat d'une opinion
individuelle ? Les groupes isolés n'étant pas à même de
savoir ce qui se dit ailleurs, il était nécessaire qu'un centre
rassemblât toutes les instructions pour faire une sorte de
dépouillement des voix, et porter à la connaissance de tous
l'opinion de la majorité (6).
54. - Il n'est aucune science qui soit sortie
de toutes pièces du cerveau d'un homme ; toutes, sans exception,
sont le produit d'observations successives s'appuyant sur les
observations précédentes, comme sur un point connu pour arriver
à l'inconnu. C'est ainsi que les Esprits ont procédé pour le
Spiritisme ; c'est pourquoi leur enseignement est gradué ; ils
n'abordent les questions qu'au fur et à mesure que les principes
sur lesquels elles doivent s'appuyer sont suffisamment
élaborés, et que l'opinion est mûre pour se les assimiler. Il
est même remarquable que toutes les fois que les centres
particuliers ont voulu aborder des questions prématurées, ils
n'ont obtenu que des réponses contradictoires non concluantes.
Quand, au contraire, le moment favorable est venu, l'enseignement
se généralise et s'unifie dans la presque universalité des
centres.
Il y a, toutefois, entre la marche du
Spiritisme et celle des sciences une différence capitale, c'est
que celles-ci n'ont atteint le point où elles sont arrivées
qu'après de longs intervalles, tandis qu'il a suffi de quelques
années au Spiritisme, sinon pour atteindre le point culminant,
du moins pour recueillir une somme d'observations assez grande
pour constituer une doctrine. Cela tient à la multitude
innombrable d'Esprits qui, par la volonté de Dieu, se sont
manifestés simultanément, apportant chacun le contingent de ses
connaissances. Il en est résulté que toutes les parties de la
doctrine, au lieu d'être élaborées successivement durant
plusieurs siècles, l'ont été à peu près simultanément en
quelques années, et qu'il a suffi de les grouper pour en former
un tout.
Dieu a voulu qu'il en fût ainsi, d'abord,
pour que l'édifice arrivât plus promptement au faîte ; en
second lieu, pour que l'on pût, par la comparaison, avoir un
contrôle pour ainsi dire immédiat et permanent dans
l'universalité de l'enseignement, chaque partie n'ayant de
valeur et d'autorité que par sa connexité avec l'ensemble,
toutes devant s'harmoniser, trouver leur place dans le casier
général, et arriver chacune en son temps.
En ne confiant pas à un seul Esprit le soin
de la promulgation de la doctrine, Dieu a voulu en outre que le
plus petit comme le plus grand, parmi les Esprits comme parmi les
hommes, apportât sa pierre à l'édifice, afin d'établir entre
eux un lien de solidarité coopérative qui a manqué à toutes
les doctrines sorties d'une source unique.
D'un autre côté, chaque Esprit, de même que
chaque homme, n'ayant qu'une somme limitée de connaissances,
individuellement ils étaient inhabiles à traiter ex professo
les innombrables questions auxquelles touche le Spiritisme ;
voilà également pourquoi la doctrine, pour remplir les vues du
Créateur, ne pouvait être l'oeuvre ni d'un seul Esprit, ni d'un
seul médium ; elle ne pouvait sortir que de la collectivité des
travaux contrôlés les uns par les autres (7).
55. - Un dernier caractère de la révélation
spirite, et qui ressort des conditions mêmes dans lesquelles
elle est faite, c'est que, s'appuyant sur des faits, elle est et
ne peut être qu'essentiellement progressive, comme toutes les
sciences d'observation. Par son essence, elle contracte alliance
avec la science qui, étant l'exposé des lois de la nature dans
un certain ordre de faits, ne peut être contraire à la volonté
de Dieu, l'auteur de ces lois. Les découvertes de la science
glorifient Dieu au lieu de l'abaisser : elles ne détruisent que
ce que les hommes ont bâti sur les idées fausses qu'ils se sont
faites de Dieu.
Le Spiritisme ne pose donc en principe absolu
que ce qui est démontré avec évidence, ou ce qui ressort
logiquement de l'observation. Touchant à toutes les branches de
l'économie sociale, auxquelles il prête l'appui de ses propres
découvertes, il s'assimilera toujours toutes les doctrines
progressives, de quelque ordre qu'elles soient, arrivées à
l'état de vérités pratiques, et sorties du domaine de
l'utopie, sans cela il se suiciderait ; en cessant d'être ce
qu'il est, il mentirait à son origine et à son but
providentiel. Le Spiritisme, marchant avec le progrès, ne sera
jamais débordé, parce que, si de nouvelles découvertes lui
démontraient qu'il est dans l'erreur sur un point, il se
modifierait sur ce point ; si une nouvelle vérité se révèle,
il l'accepte (8).
56. - Quelle est l'utilité de la doctrine
morale des Esprits, puisqu'elle n'est autre que celle du Christ ?
L'homme a-t-il besoin d'une révélation, et ne peut-il trouver
en lui-même tout ce qui lui est nécessaire pour se conduire
?
Au point de vue moral, Dieu a sans doute
donné à l'homme un guide dans sa conscience qui lui dit : «Ne
fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît.» La
morale naturelle est certainement inscrite dans le coeur des
hommes, mais tous savent-ils y lire ? N'ont-ils jamais méconnu
ses sages préceptes ? Qu'ont-ils fait de la morale du Christ ?
Comment la pratiquent ceux mêmes qui l'enseignent ? N'est-elle
pas devenue une lettre morte, une belle théorie, bonne pour les
autres et non pour soi ? Reprocherez-vous à un père de
répéter dix fois, cent fois les mêmes instructions à ses
enfants s'ils n'en profitent pas ? Pourquoi Dieu ferait-il moins
qu'un père de famille ? Pourquoi n'enverrait-il pas de temps à
autre parmi les hommes des messagers spéciaux chargés de les
rappeler à leurs devoirs, et de les remettre en bon chemin quand
ils s'en encartent, d'ouvrir les yeux de l'intelligence à ceux
qui les ont fermés, comme les hommes les plus avancés envoient
des missionnaires chez les sauvages et les barbares ?
Les Esprits n'enseignent pas d'autre morale
que celle du Christ, par la raison qu'il n'y en a pas de
meilleure. Mais alors à quoi bon leur enseignement, puisqu'ils
ne disent que ce que nous savons ? On pourrait en dire autant de
la morale du Christ, qui fut enseignée cinq cents ans avant lui
par Socrate et Platon, et dans des termes presque identiques ; de
tous les moralistes qui répètent la même chose sur tous les
tons et sous toutes les formes. Eh bien ! les Esprits viennent
tout simplement augmenter le nombre des moralistes, avec la
différence que, se manifestant partout, ils se font entendre
dans la chaumière aussi bien que dans le palais, aux ignorants
comme aux gens instruits.
Ce que l'enseignement des Esprits ajoute à la
morale du Christ, c'est la connaissance des principes qui relient
les morts et les vivants, qui complètent les notions vagues
qu'il avait données de l'âme, de son passé et de son avenir,
et qui donnent pour sanction à sa doctrine les lois mêmes de la
nature. A l'aide des nouvelles lumières apportées par le
Spiritisme et les Esprits, l'homme comprend la solidarité qui
relie tous les êtres ; la charité et la fraternité deviennent
une nécessité sociale ; il fait par conviction ce qu'il ne
faisait que par devoir, et il le fait mieux.
Lorsque les hommes pratiqueront la morale du
Christ, alors seulement ils pourront dire qu'ils n'ont plus
besoin de moralistes incarnés ou désincarnés ; mais alors
aussi Dieu ne leur en enverra plus.
57. - Une des questions les plus importantes
parmi celles qui sont posées en tête de cet ouvrage est
celle-ci : Quelle est l'autorité de la révélation spirite,
puisqu'elle émane d'êtres dont les lumières sont bornées, et
qui ne sont pas infaillibles ?
L'objection serait sérieuse si cette
révélation ne consistait que dans l'enseignement des Esprits,
si nous devions la tenir d'eux exclusivement et l'accepter les
yeux fermés ; elle est sans valeur dès l'instant que l'homme y
apporte le concours de son intelligence et de son jugement ; que
les Esprits se bornent à le mettre sur la voie des déductions
qu'il peut tirer de l'observation des faits. Or, les
manifestations et leurs innombrables variétés sont des faits ;
l'homme les étudie et en cherche la loi ; il est aidé dans ce
travail par les Esprits de tous ordres, qui sont plutôt des
collaborateurs que des révélateurs dans le sens usuel du mot ;
il soumet leurs dires au contrôle de la logique et du bon sens ;
de cette manière, il bénéficie des connaissances spéciales
qu'ils doivent à leur position, sans abdiquer l'usage de sa
propre raison.
Les Esprits n'étant autres que les âmes des
hommes, en communiquant avec eux nous ne sortons pas de
l'humanité, circonstance capitale à considérer. Les hommes de
génie qui ont été les flambeaux de l'humanité sont donc
sortis du monde des Esprits, comme ils y sont rentrés en
quittant la terre. Dès lors que les Esprits peuvent se
communiquer aux hommes, ces mêmes génies peuvent leur donner
des instructions sous la forme spirituelle, comme ils l'ont fait
sous la forme corporelle ; ils peuvent nous instruire après leur
mort, comme ils le faisaient de leur vivant ; ils sont invisibles
au lieu d'être visibles, voilà toute la différence. Leur
expérience et leur savoir ne doivent pas être moindres, et si
leur parole, comme hommes, avait de l'autorité, elle n'en doit
pas avoir moins parce qu'ils sont dans le monde des
Esprits.
58. - Mais ce ne sont pas seulement les
Esprits supérieurs qui se manifestent, ce sont aussi les Esprits
de tous ordres, et cela était nécessaire pour nous initier au
véritable caractère du monde spirituel, en nous le montrant
sous toutes ses faces ; par là, les relations entre le monde
visible et le monde invisible sont plus intimes, la connexité
est plus évidente ; nous voyons plus clairement d'où nous
venons et où nous allons : tel est le but essentiel de ces
manifestations. Tous les Esprits, à quelque degré qu'ils soient
parvenus, nous apprennent donc quelque chose, mais comme ils sont
plus ou moins éclairés, c'est à nous de discerner ce qu'il y a
en eux de bon ou de mauvais, et de tirer le profit que comporte
leur enseignement ; or tous, quels qu'ils soient, peuvent nous
apprendre ou nous révéler des choses que nous ignorons et que
sans eux nous ne saurions pas.
59. - Les grands Esprits incarnés sont des
individualités puissantes, sans contredit, mais dont l'action
est restreinte et nécessairement lente à se propager. Qu'un
seul d'entre eux, fût-il même Elie ou Moïse, Socrate ou
Platon, soit venu en ces derniers temps révéler aux hommes
l'état du monde spirituel, qui aurait prouvé la vérité de ses
assertions, par ce temps de scepticisme ? Ne l'aurait-on pas
regardé comme un rêveur ou un utopiste ? Et en admettant qu'il
fût dans le vrai absolu, des siècles se seraient écoulés
avant que ses idées fussent acceptées par les masses. Dieu,
dans sa sagesse, n'a pas voulu quil en fût ainsi ; il a
voulu que l'enseignement fût donné par les Esprits eux-mêmes,
et non par des incarnés, afin de convaincre de leur existence,
et qu'il eût lieu simultanément par toute la terre, soit pour
le propager plus rapidement, soit pour que l'on trouvât dans la
coïncidence de l'enseignement une preuve de la vérité, chacun
ayant ainsi les moyens de se convaincre par soi-même.
60. - Les Esprits ne viennent pas affranchir
l'homme du travail de l'étude et des recherches ; ils ne lui
apportent aucune science toute faite ; sur ce qu'il peut trouver
lui-même, ils le laissent à ses propres forces ; c'est ce que
savent parfaitement aujourd'hui les Spirites. Depuis longtemps,
l'expérience a démontré l'erreur de l'opinion qui attribuait
aux Esprits tout savoir et toute sagesse, et qu'il suffisait de
s'adresser au premier Esprit venu pour connaître toutes choses.
Sortis de l'humanité, les Esprits en sont une des faces ; comme
sur la terre, il y en a de supérieurs et de vulgaires ; beaucoup
en savent donc scientifiquement et philosophiquement moins que
certains hommes ; ils disent ce qu'ils savent, ni plus ni moins ;
comme parmi les hommes, les plus avancés peuvent nous renseigner
sur plus de choses, nous donner des avis plus judicieux que les
arriérés. Demander des conseils aux Esprits, ce n'est point
s'adresser à des puissances surnaturelles, mais à ses pareils,
à ceux mêmes à qui on se serait adressé de leur vivant : à
ses parents, à ses amis, ou à des individus plus éclairés que
nous. Voilà ce dont il importe de se persuader et ce qu'ignorent
ceux qui, n'ayant pas étudié le Spiritisme, se font une idée
complètement fausse sur la nature du monde des Esprits et des
relations d'outre-tombe.
61. - Quelle est donc l'utilité de ces
manifestations, ou si l'on veut de cette révélation, si les
Esprits n'en savent pas plus que nous, ou s'ils ne nous disent
pas tout ce qu'ils savent ?
D'abord, comme nous l'avons dit, ils
s'abstiennent de nous donner ce que nous pouvons acquérir par le
travail ; en second lieu, il est des choses qu'il ne leur est pas
permis de révéler, parce que notre degré d'avancement ne le
comporte pas. Mais cela à part, les conditions de leur nouvelle
existence étendent le cercle de leurs perceptions ; ils voient
ce qu'ils ne voyaient pas sur la terre ; affranchis des entraves
de la matière, délivrés des soucis de la vie corporelle, ils
jugent les choses d'un point plus élevé et par cela même plus
sainement ; leur perspicacité embrasse un horizon plus vaste ;
ils comprennent leurs erreurs, rectifient leurs idées et se
débarrassent des préjugés humains.
C'est en cela que consiste la supériorité
des Esprits sur lhumanité corporelle, et que leurs
conseils peuvent êtres, eu égard à leur degré d'avancement,
plus judicieux et plus désintéressés que ceux des incarnés.
Le milieu dans lequel ils se trouvent leur permet en outre de
nous initier aux choses de la vie future que nous ignorons, et
que nous ne pouvons apprendre dans celui où nous sommes.
Jusqu'à ce jour, l'homme n'avait créé que des hypothèses sur
son avenir ; voilà pourquoi ses croyances sur ce point ont été
partagées en systèmes si nombreux et si divergents, depuis le
néantisme jusqu'aux fantastiques conceptions de l'enfer et du
paradis. Aujourd'hui, ce sont les témoins oculaires, les acteurs
mêmes de la vie d'outre-tombe qui viennent nous dire ce qu'il en
est, et qui seuls pouvaient le faire. Ces manifestations ont donc
servi à nous faire connaître le monde invisible qui nous
entoure, et que nous ne soupçonnions pas ; et cette connaissance
seule serait d'une importance capitale, en supposant que les
Esprits fussent incapables de rien nous apprendre de plus.
Si vous allez dans un pays nouveau pour vous,
rejetterez-vous les renseignements du plus humble paysan que vous
rencontrerez ? Refuserez-vous de l'interroger sur l'état de la
route, parce que ce n'est qu'un paysan ? Vous n'attendrez
certainement pas de lui des éclaircissements d'une très haute
portée, mais tel qu'il est et dans sa sphère, il pourra, sur
certains points, vous renseigner mieux qu'un savant qui ne
connaîtrait pas le pays. Vous tirerez de ses indications des
conséquences qu'il ne pourrait tirer lui-même, mais il n'en
aura pas moins été un instrument utile pour vos observations,
n'eût-il servi qu'à vous faire connaître les moeurs des
paysans. Il en est de même des rapports avec les Esprits, où le
plus petit peut servir à nous apprendre quelque chose.
62. - Une comparaison vulgaire fera encore
mieux comprendre la situation.
Un navire chargé d'émigrants part pour une
destination lointaine ; Il emporte des hommes de toutes
conditions, des parents et des amis de ceux qui restent. On
apprend que ce navire a fait naufrage ; nulle trace n'en est
restée, aucune nouvelle n'est parvenue sur son sort ; on pense
que tous les voyageurs ont péri, et le deuil est dans toutes les
familles. Cependant l'équipage tout entier, sans en excepter un
seul homme, a abordé une terre méconnue, abondante et fertile,
où tous vivent heureux sous un ciel clément ; mais on l'ignore.
Or, voilà qu'un jour un autre navire aborde cette terre ; il y
trouve tous les naufragés sains et saufs. L'heureuse nouvelle se
répand avec la rapidité de l'éclair ; chacun se dit : «Nos
amis ne sont point perdus !» et ils en rendent grâces à Dieu.
Ils ne peuvent se voir, mais ils correspondent ; ils échangent
des témoignages d'affection, et voilà que la joie succède à
la tristesse.
Telle est l'image de la vie terrestre et de la
vie d'outre-tombe, avant et après la révélation moderne ;
celle-ci, semblable au second navire, nous apporte la bonne
nouvelle de la survivance de ceux qui nous sont chers, et la
certitude de les rejoindre un jour ; le doute sur leur sort et
sur le nôtre n'existe plus ; le découragement s'efface devant
l'espérance.
Mais d'autres résultats viennent féconder
cette révélation. Dieu, jugeant l'humanité mûre pour
pénétrer le mystère de sa destinée et contempler de sang
froid de nouvelles merveilles, a permis que le voile qui
séparait le monde visible du monde invisible fût levé. Le fait
des manifestations n'a rien d'extra-humain ; c'est l'humanité
spirituelle qui vient causer avec l'humanité corporelle et lui
dire :
«Nous existons, donc le néant n'existe pas ;
voilà ce que nous sommes, et voilà ce que vous serez ; l'avenir
est à vous comme il est à nous. Vous marchiez dans les
ténèbres, nous venons éclairer votre route et vous frayer la
voie ; vous alliez au hasard, nous vous montrons le but. La vie
terrestre était tout pour vous, parce que vous ne voyiez rien
au-delà ; nous venons vous dire, en vous montrant la vie
spirituelle : la vie terrestre n'est rien. Votre vue s'arrêtait
à la tombe, nous vous montrons au-delà un horizon splendide.
Vous ne saviez pas pourquoi vous souffrez sur la terre,
maintenant, dans la souffrance, vous voyez la justice de Dieu ;
le bien était sans fruits apparents pour l'avenir, il aura
désormais un but et sera une nécessité ; la fraternité
n'était qu'une belle théorie, elle est maintenant assise sur
une loi de la nature. Sous l'empire de la croyance que tout finit
avec la vie, l'immensité est vide, l'égoïsme règne en maître
parmi vous, et votre mot d'ordre est : "Chacun pour
soi" ; avec la certitude de l'avenir, les espaces infinis se
peuplent à l'infini, le vide et la solitude ne sont nulle part,
la solidarité relie tous les êtres par-delà et en deçà de la
tombe ; c'est le règne de la charité avec la devise :
"Chacun pour tous et tous pour chacun." Enfin, au terme
de la vie vous disiez un éternel adieu à ceux qui vous sont
chers ; maintenant, vous leur direz : "Au revoir
!"
Tels sont, en résumé, les résultats de la
révélation nouvelle ; elle est venue combler le vide creusé
par l'incrédulité, relever courages abattus par le doute ou la
perspective du néant, et donner à toutes choses sa raison
d'être. Ce résultat est-il donc sans importance, parce que les
Esprits ne viennent pas résoudre les problèmes de la science,
donner le savoir aux ignorants, et aux paresseux les moyens de
s'enrichir sans peine ? Cependant, les fruits que l'homme doit en
retirer ne sont pas seulement pour la vie future ; il en jouira
sur la terre par la transformation que ces nouvelles croyances
doivent nécessairement opérer sur son caractère, ses goûts,
ses tendances et, par suite, sur les habitudes et les relations
sociales. En mettant fin au règne de l'égoïsme, de l'orgueil
et de l'incrédulité, elles préparent celui du bien, qui est le
règne de Dieu annoncé par le Christ (9).
Notes :
1 Le mot élément n'est pas pris ici dans le sens de corps simple, élémentaire, de molécules primitives, mais dans celui de partie constituante dun tout. En ce sens, on peut dire que l'élément spirituel a une part active dans l'économie de l'univers, comme on dit que l'élément civil et l'élément militaire figurent dans le chiffre d'une population ; que l'élément religieux entre dans l'éducation ; qu'en Algérie, il y a l'élément arabe et l'élément européen.
2 Bien des pères de famille déplorent la mort prématurée d'enfants pour l'éducation desquels ils ont fait de grands sacrifices, et se disent que tout cela est en pure perte. Avec le Spiritisme, ils ne regrettent pas ces sacrifices, et seraient prêts à les faire, même avec la certitude de voir mourir leurs enfants, car ils savent que, si ces derniers ne profitent pas de cette éducation dans le présent, elle servira, d'abord à leur avancement comme Esprits ; puis, que ce sera autant d'acquis pour une nouvelle existence, et que lorsqu'ils reviendront, ils auront un bagage intellectuel qui les rendra plus aptes à acquérir de nouvelles connaissances. Tels sont ces enfants qui apportent en naissant des idées innées, qui savent sans, pour ainsi dire, avoir besoin d'apprendre. Si des parents n'ont pas la satisfaction immédiate de voir leurs enfants mettre cette éducation à profit, ils en jouiront certainement plus tard, soit comme Esprits, soit comme hommes. Peut-être seront-ils de nouveau les pères de ces mêmes enfants qu'on dit heureusement doués par la nature, et qui doivent leurs aptitudes à une précédente éducation ; comme aussi, si des enfants tournent mal par suite de la négligence de leurs parents, ceux-ci peuvent avoir à en souffrir plus tard par les ennuis et les chagrins qu'ils leur susciteront dans une nouvelle existence. (Evangile selon le Spiritisme, ch. v, n°21 : Morts prématurées).
3 Notre rôle personnel, dans le grand mouvement des idées qui se prépare par le Spiritisme, et qui commence à s'opérer, est celui d'un observateur attentif qui étudie les faits pour en chercher la cause et en tirer les conséquences. Nous avons confronté tous ceux qu'il nous a été possible de rassembler ; nous avons comparé et commenté les instructions données par les Esprits sur tous les points du globe, puis nous avons coordonné le tout méthodiquement ; en un mot, nous avons étudié, et donné au public le fruit de nos recherches, sans attribuer à nos travaux d'autre valeur que celle d'une oeuvre philosophique déduite de l'observation et de lexpérience, sans jamais nous être posé en chef de doctrine, ni avoir voulu imposer nos idées à personne. En les publiant, nous avons usé d'un droit commun, et ceux qui les ont acceptées l'ont fait librement. Si ces idées ont trouvé de nombreuses sympathies, c'est qu'elles ont eu l'avantage de répondre aux aspirations d'un grand nombre, ce dont nous ne saurions tirer vanité, puisque lorigine ne nous en appartient pas. Notre plus grand mérite est celui de la persévérance et du dévouement à la cause que nous avons embrassée. En tout cela, nous avons fait ce que d'autres eussent pu faire comme nous ; c'est pourquoi nous n'avons jamais eu la prétention de nous croire prophète ou messie, et encore moins de nous donner pour tels.
4 Le Livre des Esprits, le premier ouvrage qui ait fait
entrer le Spiritisme dans la voie philosophique, par la
déduction des conséquences morales des faits, qui ait abordé
toutes les parties de la doctrine, en touchant aux questions les
plus importantes qu'elle soulève, a été, dès son apparition,
le point de ralliement vers lequel ont spontanément convergé
les travaux individuels. Il est de notoriété que de la
publication de ce livre date l'ère du Spiritisme philosophique,
resté jusque-là dans le domaine des expériences de curiosité.
Si ce livre a conquis les sympathies de la majorité, c'est qu'il
était l'expression des sentiments de cette même majorité, et
qu'il répondait à ses aspirations ; c'est aussi parce que
chacun y trouvait la confirmation et une explication rationnelle
de ce qu'il obtenait en particulier. S'il avait été en
désaccord avec l'enseignement général des Esprits, il n'aurait
eu aucun crédit et serait promptement tombé dans l'oubli. Or à
qui s'est-on rallié ? ce n'est pas à l'homme, qui n'est rien
par lui-même, cheville ouvrière qui meurt et disparaît, mais
à l'idée, qui ne périt pas quand elle émane d'une source
supérieure à l'homme.
Cette concentration spontanée des forces
éparses a donné lieu à une correspondance immense, monument
unique au monde tableau vivant de la véritable histoire du
Spiritisme moderne, où se reflètent à la fois les travaux
partiels, les sentiments multiples qu'a fait naître la doctrine,
les résultats moraux, les dévouements et les défaillances ;
archives précieuses pour la postérité, qui pourra juger les
hommes et les choses sur des pièces authentiques. En présence
de ces témoignages irrécusables, que deviendront, dans la
suite, toutes les fausses allégations, les diffamations de
l'envie et de la jalousie ?...
5 Un témoignage significatif, aussi remarquable que
touchant, de cette communion de pensées qui s'établit entre les
Spirites par la conformité des croyances, ce sont les demandes
de prières qui nous viennent des contrées les plus lointaines,
depuis le Pérou jusqu'aux extrémités de l'Asie, de la part de
personnes de religions et de nationalités diverses, et que nous
n'avons jamais vues. N'est-ce pas là le prélude de la grande
unification qui se prépare ? la preuve des racines sérieuses
que prend partout le Spiritisme ?
Il est remarquable que, de tous les groupes
qui se sont formés avec l'intention préméditée de faire
scission en proclamant des principes divergents, de même que
ceux qui, par des raisons d'amour-propre ou autres, ne voulant
pas avoir l'air de subir la loi commune, se sont crus assez forts
pour marcher seuls, assez de lumières pour se passer de
conseils, aucun n'est parvenu à constituer une idée
prépondérante et viable ; tous se sont éteints ou ont
végété dans l'ombre. Comment pouvait-il en être autrement,
dès lors que pour se distinguer, au lieu de s'efforcer de donner
une plus grande somme de satisfactions, ils rejetaient des
principes de la doctrine précisément ce qui en fait le plus
puissant attrait, ce qu'il y a de plus consolant, de plus
encourageant et de plus rationnel ? S'ils avaient compris la
puissance des éléments moraux qui ont constitué l'unité, ils
ne se seraient pas bercés d'une illusion chimérique ; mais,
prenant leur petit cercle pour l'univers, ils n'ont vu dans les
adhérents qu'une coterie qui pouvait facilement être renversée
par une contre coterie. C'était se méprendre étrangement sur
les caractères essentiels de la doctrine, et cette erreur ne
pouvait amener que des déceptions ; au lieu de rompre l'unité,
ils ont brisé le seul lien qui pouvait leur donner la force et
la vie. (Voir Revue spirite, avril 1866, pages 106 et 111 : Le
Spiritisme sans les Esprits ; le Spiritisme indépendant).
6 Tel est l'objet de nos publications, qui peuvent être vues comme le résultat de ce dépouillement. Toutes les opinions y sont discutées, mais les questions ne sont formulées en principes qu'après avoir reçu la consécration de tous les contrôles qui, seule, peut leur donner force de loi et permettre d'affirmer. Voilà pourquoi nous ne préconisons légèrement aucune théorie, et c'est en cela que la Doctrine, procédant de l'enseignement général, n'est point le produit d'un système préconçu ; c'est aussi ce qui fait sa force et assure son avenir.
7 Voir dans l'Evangile selon le Spiritisme, introduction, page VI, et Revue spirite, avril 1864, page 90 : Autorité de la doctrine spirite ; contrôle universel de l'enseignement des Esprits.
8 Devant des déclarations aussi nettes et aussi catégoriques que celles qui sont contenues dans ce chapitre, tombent toutes les allégations de tendance à l'absolutisme et à l'autocratie des principes, toutes les fausses assimilations que des gens prévenus ou mal informés prêtent à la doctrine. Ces déclarations, d'ailleurs, ne sont pas nouvelles ; nous les avons assez souvent répétées dans nos écrits pour ne laisser aucun doute à cet égard. Elles nous assignent, en outre, notre véritable rôle, le seul que nous ambitionnons : celui de travailleur.
9 L'emploi de l'article avant le mot Christ (du grec Christos, oint), employé dans un sens absolu, est plus correct, attendu que ce mot n'est pas le nom du Messie de Nazareth, mais une qualité prise substantivement. On dira donc : Jésus était Christ ; il était le Christ annoncé ; la mort du Christ et non de Christ, tandis qu'on dit : la mort de Jésus et non du Jésus. Dans Jésus-Christ, les deux mots réunis forment un seul nom propre. C'est par la même raison qu'on dit : le Bouddha Gaoutama acquit la dignité de Bouddha par ses vertus et ses austérités ; la vie du Bouddha, comme on dit : l'armée du Pharaon et non de Pharaon ; Henri IV était roi ; le titre de roi ; la mort du roi, et non de roi.